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Elle ajoutait.

— Ah ! non ! Pour sûr. Je ne mange pas de ce pain-là. Mais il ne s’agit que de prendre patience. Ils finiront bien par s’user.

Elle apprit bientôt à ses dépens qu’il n’est pas toujours aisé de manier les foules. Sa position de dame patronnesse de « la Croûte de pain » lui assurait, croyait-elle, sur la classe ouvrière, une autorité. Elle en usait pour dénigrer le magasin dont les produits étaient, affirmait-elle, une « affreuse camelote ». Mais ses petits bras courts n’avaient pas l’envergure suffisante pour étreindre une ville. D’ailleurs, les prix marqués au catalogue étaient bien tentants. Elle assista donc, chagrine, à la montée du faubourg vers la maison Potte. Des filles s’arrêtaient aux étalages. Elles avaient pour les chiffons des regards d’envie. Quand l’une entra, l’autre suivit. Le chemin connu, elles ne purent le désapprendre. Du moins, Mme  Colliard se vengea-t-elle d’éclatante façon en donnant congé à la mère Chantel, une vieille femme qui faisait le ménage chez elle et avait eu le tort d’acheter, pour son usage, une casserole en émail à la maison Potte. Elle signifia cette exécution à Mme  Fridaine :

— Si tout le monde agissait comme moi, déclara-t-elle, ça donnerait à réfléchir aux têtes sans cervelle.

— Ne vous tourmentez pas, dit grand’mère Fridaine. Les braves gens ont toujours le dernier mot.

Mme  Fridaine affectait le mépris et l’indifférence. Elle disait avec un geste d’épaules :

— Ne vous occupez donc pas de ces intrigants. Vraiment, c’est leur faire beaucoup d’honneur !

Sa boutique était un temple où se réfugiaient les vieilles idées. De l’été merveilleux, elle ne voyait rien. Elle se levait à six heures, ouvrait les volets, balayait la pièce. Les fillettes s’éveillaient une grande heure plus tard. Mme  Fridaine le tolérait et évitait de les contrarier. Pourtant, de temps à autre, elle était distraite. Elle gardait les yeux obstinément fixés sur les cartons lie de vin aux poignées d’or mat.

— À quoi penses-tu ? disait brusquement l’une des jeunes filles.

— À rien, répondait Mme  Fridaine.

Mais parce qu’elle mentait, soudain, elle avait les pommet-