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châtelains des environs le faisaient appeler. Potte sollicita le concours de Malézieux. L’affaire était belle. Malézieux, noblement, se refusa d’établir un devis pour les « parvenus ». Il prétexta des commandes urgentes. On dut faire venir de Paris un autre peintre. Les enfants de l’école le montraient au doigt comme un malfaiteur.

Un soir, au retour de la classe, Annette jeta son carton sur la table-caisse :

— Ah ! grand’mère, si tu voyais ça.

Elle conta les derniers embellissements du magasin. Est-ce qu’à présent les ouvriers ne posaient pas sur le mur des plaques de faïence ! Il y avait mille sujets divers : des fleurs, des animaux, des naïades jouant de la conque au milieu des vagues. Et ce n’était pas tout, vraiment. L’enseigne « Aux Armes de Beaumont » était magnifique. Elle se détachait au-dessus du toit en grosses lettres d’or.

— Tu dis, petite ?

Annette, puérilement, répéta la chose. Mme Fridaine, cette fois, était outrée. Elle porta ses deux poings à ses oreilles.

— Mais c’est indigne ! De quel droit ces étrangers osent-ils prendre une pareille autorité… Je ne comprends pas que le Conseil Municipal ait laissé faire ça.

M. Lecocq était du Conseil. Ce fut lui qui recueillit la tempête. Mme Fridaine et Mme Sableux le percèrent de flèches. Il résista galamment à cette double attaque.

— Voyons, mes bonnes amies, un peu de logique. En somme, que pouvions-nous faire ? Le choix d’une enseigne appartient à tous. Que diriez-vous, si je demandais à Mme Fridaine de décrocher son petit bélier d’or ?

— Ça viendra, ça viendra, dans le siècle où nous vivons, riposta Mme Sableux en grinçant des dents.

M. Lecocq eut fort à faire pour calmer ses deux amies. Il exposa, non sans amertume, les difficultés de l’heure présente pour le petit commerce.

— Il est certain, disait-il, que le dernier mot est aux grosses affaires… Tenez, par exemple, en Amérique…

Mme Sableux l’interrompit :

— Ne parlons pas de l’Amérique. — C’est bien assez de nous occuper de ce qui se passe chez nous.

Mme Fridaine conclut :