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— Dépêchez-vous donc.

— Un magasin, ma bonne amie.

Il y eut un petit silence tragique. Grand’mère Fridaine poussa la lèvre en avant avec une mine d’enfant agacée. Puis elle mit ses mains l’une sur l’autre et, avec la paume de la gauche, elle frictionnait très vivement la droite.

— Un magasin ! Ah, ah ! Et qu’est-ce qu’ils vendront dans leur magasin ?

— Mais de tout, ma chère. Des vêtements, du linge, de la mercerie…

Grand’mère eut un sourire :

— De la mercerie ! Tiens, au fait, c’est une idée. Eh bien, qu’ils vendent de la mercerie, ces braves gens, je ne m’y oppose pas.

— Oh… Si vous le prenez de cette façon-là…

Un instant, les deux femmes s’observèrent. Mme  Sableux était effarée. Bien qu’elle connût l’orgueil de Mme  Fridaine, elle ne s’attendait pas à trouver ce calme. Elle tenta de le bouleverser par des réflexions.

— Une honte, vous dis-je. Nous allons être en proie à des exploiteurs. Ah, vraiment, il se passe de jolies choses sous ce gouvernement de malheur.

Mme  Fridaine accueillit dédaigneusement de tels propos. Négligemment elle interrogea.

— Qu’est-ce qui s’occupe de cette affaire ?

— Ils sont trois, paraît-il. Moi, je n’en connais qu’un ; Potte, vous savez bien, le neveu du notaire…

— L’ancien « conseil judiciaire » ?

— Lui-même.

— Oh bien, oh bien, je suis tranquille.

Mme  Fridaine se prit à rire. La glace était rompue. À tous, désormais, elle imposerait le nom du fils Potte. C’était la meilleure défense.

M. Lecocq reçut la première attaque. Comme il montrait de l’inquiétude pour sa vieille amie, Mme  Fridaine l’arrêta net dès le préambule.

— Potte ! Ah ! Ah ! Ce garçon a donné ses preuves. Ne vous tourmentez pas. Ils jetteront peut-être les fondations. Ils n’achèveront jamais la bâtisse.

Elle s’édifia cependant. Les matériaux arrivèrent au début