Page:Mercure de France, t. 76, n° 275, 1er décembre 1908.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la culture ? Nietzsche dans toute une partie de son œuvre est dionysien, mais pourquoi devient-il soudain apollinien, dans certains cas assez fréquents ? M. Dumur précise cette idée en disant que toutes les fois que Nietzsche se trouve en face d’un fait concret il est apollinien. C’est bien aussi mon avis, et je justifierai facilement Nietzsche de ce fait. Mais, sur ce point-là encore, M. de Gaultier apporte pour défendre Nietzsche des arguments qui ne me semblent point concluants, et cite un passage sur la Renaissance où Nietzsche considère un fait historique du point de vue dionysien.

M. J. de Gaultier doit savoir, comme moi, comme tous ceux qui se sont livrés à une étude approfondie de l’œuvre de Nietzsche, qu’on y peut trouver, en cherchant bien, tout ce que l’on veut. Nul lien systématique n’en relie les différentes parties, et ce n’est point en choisissant tel ou tel passage, relativement isolé, que l’on peut parvenir à saisir les idées maîtresses de Nietzsche. C’est, je pense, un mode un peu vain, presque un peu traître que de discuter ainsi. Que M. de Gaultier, que M. Dumur nous exposent leurs idées personnelles, auxquelles nous attachons un prix très haut, mais pourquoi se dissimuler derrière Nietzsche et le mettre en contradiction avec lui-même, lorsque seuls les deux auteurs en présence sont en contradiction ?

Il est, dans Nietzsche, de grands courants d’idées, qui se systématisent parfaitement et dont il ressort une philosophie de l’action, c’est le fond même de la pensée de ce philosophe, qui, incertain dans ses premiers ouvrages, a fini par se préciser au fur des années, pour arriver à complète expression dans la Volonté de puissance. On n’est en droit, ni de juger Nietzsche sur les seules Considérations inactuelles, qui sont une œuvre de début, ni de lejuger du point de vue du bovarysme et comme étroitement lié à cette théorie toute personnelle ; enfermer ainsi un auteur dans des considérations systématiques personnelles, c’est là un fait de bovarysme, ou pouvoir de concevoir non plus soi-même dans le cas présent — mais une œuvre, autre qu’elle n’est réellement. Si j’ai voulu participer à ce débat, c’est pour tenter, en faisant abstraction de toute vue personnelle, de montrer combien la philosophie de Nietzsche, si diverse dans ses exposés, est une, et combien elle est dionysienne. Je veux faire justice immédiatement du fait de contra-