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plus des assemblages de notes espacées et de timbres tout formés, mais des sonorités toujours variées et nouvelles. Alors elle deviendra pareille à la caresse du vent sur les feuilles, ou au bruissement changeant des vagues inégales. Mais si la nature est si fidèlement rendue, où sera l’art ? Il sera dans l’ordonnance et le sentiment. Plus les impressions sont fortes et directes, plus l’œuvre est susceptible d’une belle ordonnance, comme si les forces de l’esprit, ne s’usant plus à l’interprétation du détail, devenaient capables de mieux embrasser de grands ensembles. La peinture où les rapports des tons et des valeurs sont le mieux observés peut être aussi la plus décorative : ceux qui admirent Puvis de Chavannes, Carrière ou Gauguin ne le contesteront pas. La musique de l’avenir aura ses symphonies ; sans doute elles ne seront plus construites selon le plan classique, puisque les gammes majeures et mineures seront abandonnées depuis longtemps ; mais elles offriront à l’esprit d’harmonieux équilibres, et une logique qui, pour être concrète et substantielle, n’en sera que plus émouvante. Et, comme elle aura ses architectes, cette musique aura aussi ses poètes, qui feront, avec les sons et les bruits du monde réel, un monde imaginaire, où, selon leur fantaisie, le zéphir sera plus suave, et l’ouragan plus fort, où la mer roulera des flots de lumière, et où l’on entendra danser les étoiles. Magiciens de l’air, ils le feront vibrer aux rythmes de leur rêve, et par eux toute vision s’animera.

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Mais il est temps que nous quittions nous-mêmes la région des rêves où nous sommes entrés. Tout ce qui vient d’être dit doit se prendre à la façon d’un mythe, et non pas à la lettre. L’avenir ne peut être prophétisé : car il se réalise en vertu de lois si complexes qu’elles nous donnent l’illusion de la liberté. Ce qui sera diffère entièrement de ce que nous pensons. Mais nous pouvons déterminer la direction du mouvement qui nous entraîne, et, pour la mieux fixer, en prolonger la trace dans le futur, d’une façon d’ailleurs tout arbitraire. Je n’ai pas voulu faire autre chose, et je suis bien persuadé que ma machine à vibrations pendulaires ne sera jamais construite. Mais une autre machine existera, un autre appareil, qui mettra en jeu des forces aussi inconnues aujourd’hui que l’étaient,