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en tire de grands effets. Mais il n’opère encore que par masses, mélangeant les instruments à la façon d’un peintre qui broie ensemble les couleurs pour les étendre ensuite, à grands coups de pinceau. On veut plus de nuances aujourd’hui. Les instruments à cordes sont encore en grande majorité dans notre orchestre, parce qu’autrefois ils étaient seuls capables de tout exécuter ; mais les instruments à vent peuvent lutter avec eux de souplesse et d’agilité ; on tâche donc d’accroître leur nombre et d’augmenter l’importance de leurs rôles ; ainsi se dissipe peu à peu, chez tous les musiciens, qu’ils se nomment Borodine, Balakirev, Rimski-Korsakov, R. Strauss, d’Indy, Debussy ou Dukas, la grisaille uniforme dont les archets, jusque chez Wagner, enveloppaient toute musique ; l’ombre et la lumière se colorent. En même temps, on forme avec ces différents timbres des ensembles moins vastes, mais plus variés. On sait unir et détacher tour à tour la flûte et le hautbois, la clarinette, le cor anglais et le basson, les cors, les trompettes, les trombones et le cornet à pistons. Les couleurs deviennent multiples et précises. Mais il reste beaucoup à faire, et tel sera sans doute l’effort des prochaines années. Il faut d’abord achever l’équilibre de l’orchestre, en mettant à la disposition du compositeur, dans chaque groupe, des familles complètes d’instruments, comme c’est le cas aujourd’hui pour les cordes et pour les hautbois ; et en égalisant les effectifs : un ensemble de six ou huit clarinettes doit être possible au même titre qu’un trio de violons, altos et violoncelles. On se préoccupera ensuite de mélanger les timbres en proportions définies, et pour cela de fixer le nombre des instruments, ainsi que la nuance où devra se tenir chacun d’eux. Il conviendra, à ce moment, que tout musicien de l’orchestre prenne conscience de son rôle ; aujourd’hui, à part quelques solistes désignés, d’avance, chacun compte sur le voisin, et tous obéissent au geste unique du chef ; dans l’orchestre de l’avenir, il n’y aura que des solistes, et très probablement le chef deviendra inutile, comme il l’est aujourd’hui dans la musique de chambre. Dès aujourd’hui, nos compositeurs demandent une initiative personnelle aux exécutants ; et c’est pour