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pour égaliser entre eux au moins le plus grand nombre des tons et des demi-tons, par une altération prudente qu’on appelle le tempérament. Les instruments à clavier, orgues et ancêtres du clavecin, se prêtaient seuls à la délicatesse d’un accord préalable ; les autres suivaient comme ils pouvaient, les violes et les luths assez exactement, en raison des sillets qui marquaient à l’avance la position des doigts, les instruments à vent, sacquebutes ou cornets, se contentaient d’un réglage très imparfait et variable. Lorsque ces divers instruments se trouvaient associés, soit entre eux, soit avec les voix, il se produisait une mêlée de sons, de part et d’autre de la note demandée ; mais l’oreille s’en contentait. En outre, les tous chargés d’accidents sonnaient toujours faux, même sur l’orgue et le clavecin, qui n’avaient pas encore adopté le tempérament égal. On sait que ce procédé, qui divise l’octave en douze intervalles sensiblement égaux, fut recommandé, au début du XVIIIe siècle, à la fois par Bach et par Rameau, et se répandit alors, malgré l’opposition de certains musiciens qui trouvaient du charme à ces discordances[1]. Mais ce n’est que vers le milieu du XIXe siècle que les instruments à vent parvinrent à se l’approprier, les flûtes, hautbois, clarinettes, et bassons, grâce au système de Bœhm, les cors et trompettes par le mécanisme des pistons. Aujourd’hui notre musique repose sur une série, prolongée le long de six ou sept octaves, de demi-tons égaux entre eux. C’est, à peu de chose près, le système des douze liù chinois, déterminés, trente siècles avant notre ère, par un sage empereur et son bon ministre, mais dont la musique chinoise, faute de moyens suffisants, ne put faire usage. Par le progrès de nos instruments, l’art occidental arrive aujourd’hui à produire exactement les sons à la hauteur voulue. Qu’en est-il résulté ? D’abord que notre oreille, devenue exigeante, ne reconnaîtrait sans doute qu’une regrettable cacophonie dans un de ces concerts symphoniques, chers aux amateurs du XVIIIe siècle, où des hautbois incertains et de vagues bassons rôdaient parmi une bande indisciplinée de violons. Mais aussi nous n’y mettons plus du nôtre ; nous ne tenons plus aucun compte des bonnes intentions ; c’est un la dièse qu’il nous faut, rien de plus ni de moins, et nous

  1. On verra ce « préjugé » cité et réfuté, dans les Éléments de musique de Dalembert (1752), p. 48.