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Le lendemain, Jean Colliard prit le chemin de la maison Potte. Le fils Potte occupait au second étage un cabinet luxueux qui avait vue sur le canal. Ce n’était plus le fêtard d’autrefois. Il portait au front, à présent, le pli soucieux des hommes d’affaires. À ses côtés se tenaient ses deux associés, M. Fresnel et M. Leborgne. Il tendit à Jean sa main large ouverte :

— Monsieur Colliard, voilà ce dont il s’agit : vous n’ignorez pas, je suppose, la situation que nous occupons. Je regrette qu’elle se soit faite au détriment d’honnêtes travailleurs. Mais il y a place pour tous, à condition qu’on sache la trouver. Je connais votre position. Je sais qu’elle ne répond pas à votre mérite. Eh bien, voilà ce que je vous propose. Faites de votre boutique un atelier de réparations pour le magasin. Je crois que vous n’aurez pas à vous repentir…

Les Colliard ajournèrent leur réponse. Ils balancèrent entre eux les inconvénients et les avantages. Puis, finalement, ils décidèrent qu’ils accepteraient la proposition de Potte. Mais il fallait avertir grand’mère Fridaine. — Ils abordèrent le sujet avec précautions. D’abord, la vieille femme ne comprit pas. Elle les regardait l’un après l’autre, avec des yeux vagues, comme si elle eût perdu la raison. Puis, quand elle eut saisi, elle croisa les bras :

— Vous ne ferez pas cela.

Respectueusement, ils exposèrent leurs raisons d’agir. Ils dirent leurs tristesses, leurs difficultés. Grand’mère les écoutait à peine.

— Et puis après ! Vous êtes jeunes, hein ! Plus tard, vous vous paierez des douceurs.

Mais quand elle les vit bien décidés, elle entra dans une grande colère. Annette s’était réfugiée dans un coin. Mme Fridaine ouvrit la porte de la boutique :

— Sortez de chez moi… C’est une honte… J’aimerais mieux vous voir manger des cailloux qu’exercer un métier pareil !

VI

Deux faillites inaugurèrent la nouvelle année. Rubin, le papetier de la rue de l’Horloge, fut trouvé pendu. Mme Sableux porta la nouvelle à Mme Fridaine. Elle larmoyait :

— Ah, ce Potte !… On peut dire qu’il en a sur la conscience !