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UN AMI DE J. BARBEY D’AUREVILLY son triomphe partout. Elle est ce qu’on n’attend pas et ce qu’on ac­ cueille partout. Elle n’est pas toujours la langue qui se parle, mais elle est toujours le mot qui se dit. Elle est victorieuse, universelle et éternelle. Sa flamme est partou^sur l’esprit humain. Et qu’est-ce que la flamme de l’idée ? C’est le verbe, c’est le premier vers d’Homère, c’est l’épée flamboyante de l’archange... Il y avait aussi à Saint-Sauveur une autre personne avec laquelle Barbey d’Aurevilly avait conservé des relations, c’ était MIle Elisabeth Bouillet, dont le nom revient souvent dans sa correspondance. Il dînait quelquefois chez elle, et quelquefois l’ abbé Anger l’ y accompagnait. Celui-ci disait... «Barbey d’Aurevilly chez moi déclamateur, liseur chez M1Ie Bouillet. » Jusqu’ à la mort de B arbey, ses deux amis de Saint-Sauveur n’eurent rien de plus précieux que ses visites, ses lettres et les objets qu’il leur offrait, souvenirs en apparence insignifiants, mais qu’ils conservèrent comme des reliques. Barbey d’Aurevilly ne savait rien refuser à celui cru’ il appe­ lait son second frère et s’ingéniait à lui causer de la joie par le caractère des cadeaux qu’ il lui offrait. C’est ainsi qu’il plaça un jou r dans la chapelle de la Déli­ vrande une bannière aux armes des d’Au revilly et sur la mo­ deste table du Chapelain un coupe-papier d’ivoire sur lequel il avait écrit son nom à l ’ encre violette. Parmi la modeste vaisselle de l’ abbé Anger on pouvait voir une petite tasse en terre noire et dans la tasse une cuiller en vermeil. Cette tasse avait été fabriquée dans un village du Cotentin et quoiqu’elle fût en terre grossière, Barbey d’Aure­ villy y attachait beaucoup de prix et n’en voulait pas d’ autre pour boire le café que lui servait l’ abbé Anger. On ferait facilement un petit musée d’A urev illy avec ces souvenirs et combien d’autres sans oublier la bibliothèque de l’abbé Anger. Après la mort de son grand ami (1889), le Chapelain de la Délivrande s’enferma de plus en plus dans la solitude austère qu’il s ’était créée. Il ne connut plus guère que ses pauvres. Le clergé médiocre d elà contrée ne comprit pas cette figure hau­ taine ni les apostrophes énergiques dont le vieux prêtre émaillait ses sermons quotidiens. Il vécut jusqu’à quatre-vingts ans volontairement dénué ; ridiculisé aussi à cause de sa foi,