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UN AMI DE J. BARBEY D’AUREVILLY « Au point de vue de l ’art, le protestantisme, c’est la religion des Vandales. II a pénétré dans toutes les églises avec la hideuse furie de la démolition éperdue. Les merveilles sans cesse réunies depuis des siècles, qui constituaient le mobilier des cathédrales, il en a fait dé la cendre et des débris. « Le vitrail qui transformait la fenêtre en un tableau mystérieux achevé chaque jour par le soleil, le jubé, magnifique portail intérieur qui créait dans l’église une sorte de majestueuse retraite à Dieu et où les artistes épuisaient leur imagination et leur goût ; les tombes, silencieux lits d’âmes gravement rangées sous les voûtes ; les statues, population tranquille et superbe, qui animaient doucement la ligne blanche des piliers, les retables de marbre et de menuiserie qui fai­ saient fourmiller derrière l’autel des fouillis de figurines dorées; les reliquaires éblouissants, les lutrins monumentaux où s’étalait le beau missel à fermoir d’argent; les chœurs et leurs stalles, les colonnes et leurs fresques, les pavés et leurs mosaïques; les clefs de voûte his­ toriées et leurs grandes coupes tombant de la hauteur de la nef ; les bannières bordées entrevues à travers des nuages d’encens, les vais­ selles, les chapes de brocart, les mitres de pierreries, les ostensoirs, les calices, les ciboires, les fonts baptismaux, l ’autel d’or, le prêtre d’or, les tryptiques de Van Eyck, de Memling, les grands cadres de Rubens et de Murillo, toute cette décoration.splendide que quinze siècles avaientlentementcomposéeautour d’une idée, le protestantisme, l’outil de l’ombre à la main, l ’a semée aux quatre vents et en a fait un tas de décombres lamentables pour les éternels amants de l ’art. » M. d’Aurevilly m’interrompit au bout de ma longue période et me - dit : — Oui, mon cher Abbé,[ceci est très beau de vérité, de sentiment, de couleur et d’imagination. Le cœur catholique vit encore, chez cet homme, des émotions juvéniles non éteintes. Voyez si Hugo ne con­ naît pas le mobilier de l’Eglise comme un lévite ? Et comme un lévite transporté, enthousiaste, plaintif comme Jérémie qui n’annonce pas les ruines de Jérusalem, mais qui pleure sur elle. Je repris ma lecture : « Le protestantisme à remplacé les sculptures par le bois peint, les fresques par le badigeon, les vitraux par des vitres, les pierres tom­ bales par de la brique, les jubés par des balustrades de sapin, les stalles par des banquettes, les lustres par des quinquets, le prêtre d’or par le prêtre noir, l’art par le néant, toute cette immense vie de la cathédrale par je ne sais quel spleen composé de fanatisme et de pédantisme. Il a tout enlevé, tout détruit, tout ratissé, tout nivelé, tout dépeuplé, tout cassé’, tout brûlé, tout noirci, tout blanchi, puis, quand cette cathédrale, hier encore palais prodigieux,a été une épou­ 18