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UN AMI DE J. BARBEY D’AUREVILLY 271 Mais de cette statuette de porphyre d’un grain si pur, d’un con­ tour si doux au contact de la main, d’une physionomie si idéalement ressemblante, et d’une physiologie qui nous fait paraître vivant et présent l’homme de lettres et l’inflexible moraliste, de cette statuette un simple analyste de profession ne peut détacher une parcelle. Il faut prendre la statue et la montrer comme on montre un diamant moins enchâssé encore dans le cadre de l’élégante typographie de M.Martin, que porté comme entre deux doigts qui ne nous dérobent dans leur fine étreinte, aucune des facettes du bijou où le soleil se joue en reflets étincelants à chaque mouvement, à chaque page que l’on tourne. Dans ces pages inédites que j ’ ai sous les yeux, c’ est toujours Barbey d’Aurevilly le sujet principal de l’abbé Anger : Les superficiels et les inaptes étaient d’une impertinente effronte­ rie et d’une ridicule puérilité quand ils lui reprochèrent l’excentricité de ses costumes. C’était une protestation voulue contre la versatilité imbécile des caractères et des modes de son temps. Un soir, je me promenais avec lui à l’extrémité de l’esplanade du Mont de Rauville, en avant du parvis ombragé de la Déli­ vrande où l’abbé Léon d’Aurevilly avait composé de belles strophes.. Nous étions arrivés à cette pointe pittoresque que nous appelions le Cap Sunium. Beau et suggestif comme celui de l ’Attique, notre Sunium neustrien surplombait un abîme et regardait le soleil se coucher tout rouge dans l’Océan. En nous retournant, je lui dis : « Vous voilà toujours dans votre accoutrement antédiluvien. » — « Dites plus et mieux, me répondit- il, c’est un costume antidiluvien. Il ne datte pas d’avant le déluge, mais il contraste et fait opposition avec le déluge de tous les déver­ gondages épileptiques des modes et du snobisme. » — Ainsi d’Au­ revilly me montrait l’éloquente force des prépositions antithétiques. Il faut admirer dans ces inédits de l’abbé Ang er l’ enthou­ siasme d’un prêtre catholique pour la pensée de Barbey d’ Au ­ revilly. L ’auteur du Prêtre marié a souffert plus qu’on ne l’a cru généralement d’être appelé par ses coreligionnaires Ven­ fan t terrible. Léon Bloy, un des rares qui l’ aient vraiment connu, le défendit le premier contre les inventeurs de cette appellation. Dans les dernières années de la vie de Barbey d’Aurevilly, il y avait donc à Saint-Sauveur un autre défen­ seur de la sublimité de son œuvre et de la rectitude de son jugem ent, et c’ était un prêtre catholique.