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quer. Nous revoilà à Dibutade, qui inventait le dessin en suivant avec un morceau de charbon les contours d’une ombre sur le mur. Avec cela, le modèle et le « trait de force » qui dérou­tait Pécuchet, on s’élève facilement à l’idéal, aux sommets de l’idéal.

Mais j’aime autant que l’art ait de moins hautes visées, qu’il se borne à être personnel et caractéristique. Et ce sont bien, dans le domaine du portrait, où il veut se restreindre, les qua­lités premières de M. André Rouveyre. Cette figure vue par lui ne l’a été que par lui seul. Il s’y est arrêté, non pas objectif froid, mais œil intelligent. Avant de la dessiner, il a voulu la comprendre. Les lignes, les ombres, les saillies, les creux, et même les couleurs, qu’il rend à sa manière, lui ont parlé et il a entendu leur langage. Tout pense dans une tête qui pense. Rien dans les figures de M. Rouveyre qui ne soit symboli­que d’un état intérieur : d’où leur vie, d’où les discours qui semblent sortir de chacun des plis de leur peau.

Mais en voilà assez. M. Rouveyre désirait être présenté. C’était inutile, car il aura vite fait de se créer ici des admira­teurs. Dès le premier de ses Visages, dès ce « France », noble, doux et méditatif, il va achever de conquérir le public des let­tres, heureux de retrouver, dans quelques traits les plus sim­ples, l’attitude et la pensée de son maître le plus aimé. Et les autres viendront tour à tour, hommes ou femmes qui auront eu l’heur de plaire à l’œil sagace et difficile du portraitiste, devenu ainsi un peu le juge de ses contemporains.

Cependant, on imprime le Gynécée, qui troublera plus d’un système nerveux, qui mettra bien des cervelles à l’envers et présentera un Rouveyre inattendu. Mais pourquoi inattendu ? Avec lui, il faut peut-être s’attendre à tout. Attendons.


Remy de Gourmont.