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reuse, d’atmosphère grisâtre et sourde enveloppent les cœurs et les cerveaux de ces hommes penchés qui écrivent, dans des bureaux sombres, des choses inutiles, pénibles ou rebutantes. Ces hommes pourtant ont une sensibilité, des pensées, des souhaits, des désirs et des flambées de cœur comme tous les autres êtres du monde ; mais l’administration ouate, édulcore et tempère à l’excès toutes ces nobles impulsions natives. De là cette monotonie et le comique on ne peut plus navrant de cette terne existence où jamais ne scintille d’idéal élevé, que la pire routine engourdit de son sommeil et de sa poussière. En M. Potron Lafleur, en Noël Flageollet, en MM. Lappe, Perle et Malaise et jusqu’en M. Boule, le plus haut placé de tous ces scribes puisqu’il est ministre, M. Georges Lecomte sut objectiver les figures qu’Honoré de Balzac et M. Courteline avaient esquissées par ailleurs fort bien, mais d’une manière autre.

Restait, pour l’auteur, à étudier le Monde, ce Monde dont M. Bourget s’est fait l’historien respectueux et M. Hermant l’historien narquois. C’était là une tâche où la multiplicité de tous « les petits faits vrais » allait s’imposer à l’examen soi­gneux d’un notateur rigide et d’un scrupuleux écrivain de caractères. Un livre était à écrire, dépouillé d’artifice et d’ou­trance, où un romancier, à force d’observation et de menus croquis saisis sur le vif, parviendrait à peindre le monde, c’est-à-dire à donner de la caste oisive du plaisir, au moyen des pro­pres gestes et des propres confidences de celle-ci, un tableau on ne peut plus réel et vivant. M. Georges Lecomte, en réunissant dans les Hannetons de Paris cette compacte enquête, réussit au mieux ce livre difficile. Bourget, en écrivant du « monde », demeure extasié et surpris ; même dans les pires moments il ne cesse d’admirer ; le luxe Tétonne et le séduit. Hermant, lui, griffe et déchire ; Mirbeau gronde ; et, quand Lorrain cro­quait, dans son style excessif et moqueur, ces carcasses mon­daines, il châtiait tout en écrivant. Plus mesuré, M. Georges Lecomte ne prend point au tragique ses modèles ; il les écoute et s’en amuse ; il en recueille, de visu, de rapides et fins croquetons extrêmement vraisemblables. Voici, au premier rang des Hannetons, M. Maxime Pirouette, d’opinion versatile, la Snobinette, la dame au grand couturier, et celle qui — depuis vingt ans — inaugura tous les Salons ; enfin Mme Chicotin de