Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/42

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l’auteur des Valets nomme si exactement les plus fameux de nos conducteurs d’hommes, ont trop longtemps occupé la scène populaire de leurs cabrioles, de leurs dissentiments, de leurbavardage et deleurs vilenies. Hélas ! ils l’occupent encore. Leurs gesticulations n’ont pas cessé de conduire les plus beaux rêves à l’avortement. Des niais comme Denizot, des coquins comme Carette (ces héros des Valets) tiennent toujours le Tré­teau devant la nation. Et, il est toujours exact le tableau où le rude Caucal, un bonhomme de 93 égaré chez les Valets, flétrit les mandataires que la crédulité et l’optimisme du plus spontané et du meilleur des peuples ont portés au pouvoir :


Quand nous avons travaillé à débarrasser les esprits de la disci­pline religieuse, nous espérions qu’on allait refaire par la raison et le devoir, une conscience nationale. Il y avait à réconforter les âmes par une nouvelle Foi. Hors des dogmes qui abaissent l’homme, en font un éternel coupable et conseillent l’inertie, hors des superstitions inté­ressées et des niaiseries sacerdotales, il fallait enseigner la justice, la bonté, développer la raison et la doctrine. L’heure était venue d’une morale rajeunie. Et c’est dans cet espoir que, pour ma part, j’ai travaillé. Mais qu’a-t-on fait ? Au lieu d’éduquer les esprits, on s’est ingénié à pervertir toutes les vitalités généreuses. Je rougis de la beso­gne faite. Au lieu de s’adresser à la raison, ce sont les bas instincts que l’on a flattés. Loin de cultiver les sentiments d’honneur, de devoir, de justice, qui pouvaient être les éléments constitutifs de l’âme mo­derne, on a surexcité les appétits de jouissance, de gain, d’égoïsme. Les églises se sont vidées et les cabarets se sont emplis. On n’a su trouver ni l’asile, ni la doctrine intermédiaires. Là, toutes les gourmandises s’échauffent : le mauvais alcool ravage les corps ; la sottise envieuse dessèche les cœurs. L’homme qui vient quémander des voix verse l’alcool meurtrier, courtise les idées fausses et les instincts avides.

Il est l’émanation du caboulot puant, du poison qui saoule et de l’ignorance qui se garde bien d’éclairer. C’est le cerveau fumeux du cabaret qui gouverne. Je le répète, j’ai honte de l’œuvre d’avilissement que nous avons laissé s’accomplir. Nous croyions abattre les reli­gions pour faire peu à peu de l’homme un être de raison nette et droite. Et nous nous apercevons aujourd’hui que la seconde partie de la tâche a été négligée. L’homme s’est affranchi des anciennes croyances, non pour devenir meilleur, mais pour n’être plus gêné dans ses frénésies de jouissances matérielles. Il ne les a remplacées par rien. C’est le règne de la porcellerie et de la voracité. On s’est débarrassé des scrupules religieux sans se mettre sous la sauvegarde