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GEORGES LECOMTE


GEORGES LECOMTE


I

Quand M. Jules Huret dressa, en 1891, à l’aurore des deux grands mouvements symboliste et néo-réaliste, l’inventaire extrêmement détaillé de la littérature française contemporaine, il ne cita point le nom de M. Georges Lecomte. Ce dernier venait pourtant, au début de cette même année, de faire représenter, sur la scène du Théâtre-Libre, une pièce en quatre actes : la Meule, sa première œuvre. Des qualités de tendresse contenue, d’observation nette et de vérité animaient les rôles de cette comédie. Mais, depuis trois ans déjà, M. Georges Lecomte, passionné de toutes les recherches et de toutes les audaces, n’avait cessé de mêler ses vaillants efforts à ceux de toute une jeunesse hardie et batailleuse. À la Cravache, petit journal hebdomadaire où des maîtres comme Verlaine et Mal­larmé se montraient familiers des sommaires, le nom de M. Le­comte s’était avoisiné à ceux de Jules Laforgue et Vanor, de MM. Kahn, Fénéon, Barrès et Verhaeren. Avec la Meule, ouvrage d’humanité directe, écrit deux ans plus tard, le jeune auteur, sans manifester aucun éloignement pour ses compa­gnons du mouvement symboliste, s’était orienté dans une voie littéraire différente. Sa collaboration à la Revue Indépendante à la revue de Jean Jullien, Art et critique, accentuait une tendance encore plus personnelle. Il devenait, dans ces condi­tions, extrêmement difficile de classer un homme aussi peu fixé dans l’école. M. Huret s’abstint ; il ne plaça point M. Geor­ges Lecomte au rang des jeunes maîtres du symbolisme, et il ne le plaça point davantage au rang des néo-réalistes arrivés dans les lettres à la suite de Zola.

Le nouveau venu, au fait, était inclassable. On l’avait vu, dans la Cravache, s’insurger contre la formule connue de Paul Adam : « l’art est l’œuvre d’inscrire un dogme dans un symbole » et témoigner combien ce dogmatisme offrait, à ses yeux, de péril dans les arts et venait limiter le cercle de l’intel­ligence. À l’affirmation de Charles Morice : « De nature, d’es­ sence, l’Art est religieux », il opposait une grande véhémence