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MERCVRE DE FRANCE — 16-XI-1908

En premier lieu : je n’attaque que les choses qui sont victorieuses ; si cela est nécessaire, j’attends jusqu’à ce qu’elles le soient devenues.

En deuxième lieu : je n’attaque que les choses contre lesquelles je ne trouverais pas d’allié, où je suis seul à combattre, seul à me compromettre… Je n’ai jamais fait publiquement un pas qui ne m’eût compromis. C’est là chez moi le critérium de la véritable façon d’agir.

En troisième lieu : je n’attaque jamais de personnes, je ne me sers des personnes que comme d’un verre grossissant au moyen duquel on peut rendre visible une calamité publique encore cachée et difficilement saisissable. C’est ainsi que j’ai attaqué David Strauss ou plus exactement le succès d’un livre caduc auprès du public allemand cultivé. Ce faisant j’ai pris sur le fait cette « culture » allemande… C’est ainsi que j’ai attaqué Wagner, plus exactement le caractère mensonger et hybride de notre « civilisation » qui confond ce qui est raffiné avec ce qui est abondant, ce qui est tardif avec ce qui est grand.

En quatrième lieu : je n’attaque que les choses où toute différence de personnes est exclue, où tout arrière-plan d’expériences fâcheuses fait défaut. Au contraire, attaquer c’est chez moi une preuve de bienveillance ; dans certains cas c’est même un témoignage de reconnaissance. Je rends hommage, je distingue en unissant mon nom à une chose, à une personne — que ce soit pour la défendre ou pour la combattre, c’est après tout sans importance. Si je fais la guerre au christianisme, je crois pouvoir la faire parce que de son fait je n’ai jamais subi nul désagrément, nulle entrave. Les chrétiens sérieux ont toujours été disposés favorablement à mon égard. Moi-même, bien que je sois par principe un ennemi du christianisme, je suis loin d’en vouloir aux individus à cause d’une chose qui est la fatalité de plusieurs milliers d’années.


8.

Puis-je hasarder d’indiquer encore un dernier trait de ma nature qui, dans mes rapports avec les hommes, n’a pas été sans me créer des difficultés ? Je suis doué d’une impressionnabilité absolument inquiétante du sens de la propreté, de sorte que je perçois physiologiquement l’approche — que dis-je ? — l’intimité de la nature la plus cachée de l’âme que j’ai