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Nietzsche et la Renaissance.

Cher Monsieur,

Me voici donc d’accord avec M. Dumur sur l’interprétation qu’il convient d’attribuer à la pensée de Nietzsche en ce qui touche au protestantisme. « Ni M. Jules de Gaultier, ni moi, dit-il, ne différons d’avis sur la façon dont Nietzsche l’a envisagé, comme une manifestation du pouvoir d’arrêt. » Et M. Dumur ne conteste pas non plus le caractère défavorable de l’appré­ciation portée par Nietzsche sur ce fait social.

Si je rapproche de cette appréciation une manière de voir identique dont j’ai reproduit les termes dans le numéro du Mercure du 16 septembre 1908 à l’égard de l’Église, quelle qu’en soit la forme, catholique, protestante ou autre, manière de voir dont M. Dumur n’a récusé, ni la portée, ni la direc­tion, si j’en rapproche l’appel à la révolte que renferme la deuxième étude des Considérations inactuelles, cet appel à la jeunesse en vue de son émanci­pation spirituelle dont M. Dumur admire sans restriction l’accent, M, Dumur voudra-t-il bien reconnaître que voici un certain nombre de circonstances concrètes, à l’occasion desquelles Nietzsche a pris parti de la façon la plus nette contre le pouvoir d’arrêt ou en faveur du pouvoir d’impulsion ? Dès lors, que reste-t-il de son affirmation selon laquelle chaque fois que Nietzsche a été amené à exposer son point de vue à propos d’un fait d’histoire, d’art ou de sociologie, il lui est arrivé de prendre parti toujours pour le pouvoir d’arrêt et jamais pour le pouvoir d’impulsion ? — Jusqu’ici nous voyons Nietzsche adopter l’attitude exactement inverse, prendre parti pour le pou­voir d’impulsion contre le pouvoir d’arrêt.

Reste la question de la Renaissance. M. Dumur apporte sur ce point quelques citations de Nietzsche dont je n’ai garde de contester la significa­tion. Mais ces textes ont trait à l’opinion de Nietzsche sur un point singu­lièrement important, certes, — mais sur un point particulier, limité et défini du mouvement de la Renaissance, sur la signification de ce mouvement, on ne saurait dire dans son rapport avec l’Art lui-même, mais dans son rapport avec la technique de l’Art. Ces citations n’infirment donc en rien celle que j’ai relatée dans le numéro du 16 septembre et dont voici de nou­veau la teneur : « La Renaissance italienne, dit Nietzsche, cachait en elle toutes les forces que nous devons à la civilisation moderne : par exemple, affranchissement de la pensée, mépris des autorités, triomphe de la culture sur rorgueil de la lignée, enthousiasme pour la science et le passé scienti­fique des hommes, libération de l’individu, chaleur de pensée véridique et aversion pour l’apparence et le simple semblant. » Ici Nietzsche apprécie la Renaissance au point de vue de sa signification dans l’ordre politique, social, religieux, et M. Dumur, en reconnaissant à ce texte un caractère hautement dionysien, lui attribue la même signification que je lui attribue moi-même. Il demeure donc qu’en prenant parti pour la Renaissance Nietzsche encore a pris parti en faveur du pouvoir d’impulsion, si l’on excepte un point particulier, si l’on excepte ce qui a trait à la technique de l’art et de la pensée.

Sur ce point déterminé je partage entièrement l’opinion de M. Dumur : Nietzsche prend ici parti pour le pouvoir d’arrêt. Aussi bien, n’ai-je pas