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368 MERCVRE DE FRANCE— i6-jci-igo8 sont parfois d’ une réelle beauté plastique, et çà et là u a court fra g ­ ment trahit le poète de race ; mais l ’impression totale est plutôt péni­ ble. Cependant, puisque l ’auteur nous dit dans la préface que « ce spectacle a été écrit pour être joué », nous ferons bien, je crois, de remettre notre jugem ent définitif après la représentation. Pourvu que celle-ci ne se fasse pas trop attendre I Pour moi, j ’avoue que la pièce, telle qu’ elle est, me semble absolument injouable, attendu que les indications scéniques sont si bien j fondues ensemble avec le texte proprement dit, avec la narration dramatique, q u ’elles en cons­ tituent une partie intégrante. Même j ’incline à croire que Minnestral fut primitivement destiné à la lecture et qu ’après coup seulement, e t - sous l ’influence de certaines idées réformatrices peu à peu mûries en lui et exposées dans la préface, M. Van Eeden s’ est avisé que son drame pourrait bien être jo u é . Quoi qu ’il en soit, pour achever la représentation il demande le concours de la musique « qui rehaussera la beauté des choses vues et en éclaircira le sens ». Quand le vrai compositeur sera trouvé pour cet ouvrage, celui-ci pourra devenir un modèle du spectacle musical, un genre qui, de l’avis de l’auteur, a plus droit à l’existence que l’opéra, ou que le drame musical wagnérien, lequel n’est autre chose qu’un opéra plus sérieux. Et nous voici arrivés aux idées réformatrices à quoi tout à l ’heure je faisais allusion et que j ’estime plus intéressantes pour le moment que le drame lui-même et que toutes les théories socio-religieuses du Dès 1906, dans un article publié en allemand sous le titre Drame et Musique, M. Van Eeden déclarait que le drame musical de W ag n er est « un opéra, rien de plus, c ’est-à -dire une absurdité », et il prédit que dans cinquante ans ou même avant, la musique wagnérienne ne sera plus exécutée que comme musique,sans tout «ce monstrueux gâchis d’opéra ». Il ajoute : Dans les drames musicaux de W agner l’économie artistique est perdue, et la fin est ua déficit. La musique, l’art céleste, fait l’œuvre terrestre qui revient à la seule parole orale.’La musique raisonne, argumente, discute, — s’abaisse à des fonctions pour lesquelles elle est trop élevée et qui ne lui vont nullement. L ’inévitable effet est le ridicule. Tout homme dénué de pré­ jugés ne pourra se défendre de rire s’il voit ces gens se quereller, flirter et mourir en chantant. Alors que la vraie beauté de la parole orale, la fine nuance du langage, du geste, de la musique, l ’art dramatique en un mot se perd, noyé dans la musique. Musique délicieuse, tant qu’on voudra, — qu’on se noie dans l’eau ou dans le nectar, pour la victime cela revient au même. Tous les drames de W agner sont « des mariages malheureux entre la poésie et la musique ». L ’équilibre est rompu aux dépens de