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36o MERCVRE DE FRANCE— lô -x i-igoS la France, qui existait depuis une vingtaine d ’années, fut lamentable­ ment dénoncée par le gouvernement russe au début des années 80 du siè­ cle dernier sur la demande unanime des sphères littéraires. Et depuis, les œuvres littéraires et artistiques des auteurs étrangers devinrent une proie facile et gratuite à qui voulait les traduire, ou même con­ trefaire en Russie. Il j a près de cinq ans, j ’ai fait une enquête sur la question et j ’en ai publié ici même une grande partie. Ce fut un cri général et unanime des écrivains français contre cette absence de protection de leurs droits d ’auteurs en Russie. Les expressions de « vol », de « piraterie », etc., étaient les plus douces parmi celles que je recueillis. P arto ut on réclamait une Convention littéraire. D ’ail­ leurs les écrivains français ne se bornaient pas à crier au voleur! Victor Hugo, Emile Zola, Alfred Capus, Marcel Prévost (les trois derniers allèrent même en Russie dans ce but) firent des démarches spéciales pour obtenir la sauvegarde des droits des auteurs français en Russie, comme, à l ’heure actuelle, les mêmes démarches sont faites d’ une manière encore plus énergique parM. Georges Lecomte, président de la Société des gens de lettres. Les démarches cependant restaient vaines. On se heurtait à l’in ­ différence des autorités et à l’hostilité des m ilieux littéraires et artistiques russes. Ces derniers avaient pour raison non pas la m au­ vaise volonté, mais une notion surannée des droits d ’auteur. Cette notion, en vertu de laquelle la traduction non autorisée ne serait pas une contrefaçon, est due à une mentalité spéciale, idéale et en même temps très élémentaire; d’après la tradition russe, l ’é­ crivain a une mission à accomplir : la propagation libre des idées, des connaissances, de la littérature; le culte pour le principe de la liberté, pour les intérêts de la civilisation et de l ’instruction publi­ que. Cette conception dominait si bien toute autre considération que la pensée des honoraires qu ’on aurait à payer en établissant le budget d’une publication, la pensée du pain, du vêtement, du loge­ ment, voire même de la récompense du travail de l ’auteur, semblait entièrement secondaire, purement bourgeoise et mercantile ; qu’on pût appeler ces appropriations un vol, une piraterie, cela paraissait incom préhensible. A part cette mentalité, qui entre de plus en plus dans le domaine du passé, c ’est encore les intérêts du progrès de la culture du peuple russe que les écrivains russes croyaient défendre en se prononçant pour la liberté absolue de traduction et contre toute convention littéraire. La Russie, disent encore les partisans attardés, mais nom­ breux, de la liberté absolue de traduction, consomme plus d’œuvres scientifiques, littéraires et autres qu’ elle u’ en produit et, en sa qua­ lité de pays arriéré, elle en a besoin plus qu’ un autre: en l’obligeant à payer à l ’auteur des droits de traduction, on grève le peuple russe