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peur du sérieux et je redoute le vrai, surtout quand, par prudence, j’ai destiné un instant de ma vie à n’être que reflets, lèvres posées, frôlements et lueurs brèves. Je la considérai.

Elle répéta : — Mal, et attendit.

Je compris qu’elle espérait un encouragement à la confidence, et j’entrai, presque de moi-même, dans un petit salon trop bas, trop clair et trop ensoleillé au gré des épanchements à venir. Je risquai : — Souffrant ? Éreinté par son travail et ses cours, aux « Sciences » ? Je l’ai pourtant quitté si fort, si en train…

— Fort ? Il est toujours solide… il mange admirablement. Mais je le crois très, très atteint.

— Il tousse ? Il se plaint du cœur ?

J’interrogeais sans autre but que de parler moi-même, à mon tour, comme il est d’usage pendant les aveux embarrassés ; en même temps, je constatais plus à loisir que la Mathilde jolie d’autrefois n’avait pas démérité dans le charme de son allure, et que deux années de vie saine ne l’avaient nullement enlaidie. La joie qui m’en survint me fit, un instant, oublier tout le reste. — Le reste ? je ne savais rien encore…

— Avant tout, reprenait Mathilde, promettez-moi de n’en rien dire…

Je promis. On promet toujours. Il n’est pas d’exemple qu’un ami, sollicité de mystère, et taxé par là même de discrétion solide, se soit, du premier mouvement, récusé. C’est un préambule aimable, intime, si confiant, et qui masque si gentiment les trahisons certaines… Je promis.

— Vous êtes le seul à qui je puisse me résigner à parler ainsi. Les gens, autour de nous, ne soupçonnent rien. D’abord nous ne voyons personne. Les amis d’autrefois nous ont oubliés. Les indifférents qui se souviennent le croient absorbé dans ses recherches. Je ne les détrompe pas.

Je réitérai ma promesse de silence afin de hâter l’aveu. Même j’ajoutai :

— Comptez, ma pauvre amie, que je suis tout prêt à vous rendre service…

— Aucun service. Il est fou.

Cela fut dit très posément. Je m’en sentis plus ému que d’une réponse à grand fracas avec sanglots et larmes. En même temps, j’imaginai, derrière Mathilde, le visage disloqué