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MERCURE DE FRANCE

finesse et de vérité : il est bien tout ce qu’il faut être pour s’ennuyer. Né dans la richesse, élevé par un gouverneur esclave et vil ; l’ame naturellement grande, mais sans énergie ; point de culture, mais assez d’esprit pour sentir le vide des plaisirs que l’argent seul procure : s’il n’eût été qu’un sot, il ne se fût pas tant ennuyé. Les sauvages, dit-on, ne s’ennuient jamais : c’est un avantage que les sots civilisés partagent avec eux ; car ce n’était sûrement pas un homme d’esprit qui disait : Que m’importe à moi que je m’ennuie, pourvu que je m’amuse ? Rien, au surplus, de plus piquant que la peinture de cette vie oisive et ennuyée du comte de Glenthorn, de cet homme qu’accable

Le pénible fardeau de n’avoir rien à faire.

J’y blâmerais seulement un trait. « Mon journal (c’est le comte qui parle), mon journal à cette époque ressemblerait beaucoup à celui de M. Musard. » Nous autres lecteurs français ne pouvons qu’être flattés de cet hommage délicat rendu, par un écrivain étranger, à l’une des plus jolies productions de notre scène comique. Comment accorder ce que nous croyons devoir à son talent distingué, avec ce que nous croyons devoir à la vérité ? Il nous semble cependant que l’ingénieux auteur du roman de l’Ennui a tort de comparer son principal personnage à celui de la comédie de M. Picard. Musard n’est point un homme ennuyé ni désœuvré : tant s’en faut. C’est un homme fort amusé et fort occupé de riens ; mais ce n’est point un homme que rien n’occupe ni n’amuse. La toilette, le déjeûner, le journal, la charade, les caricatures et les poissons rouges, tout cela est pour Musard une suite d’occupations, et remplit abondamment une matinée ; aussi la journée est-elle trop courte pour lui, et finit-il par dire : Comme le tems passe ! Quelle différence du comte de Glenthorn, pour qui tous les plaisirs sont sans attrait, et les quarts d’heure, des siècles ! Cette distinction n’aurait pas dû échapper à miss Edgeworth.

Malgré un certain fracas d’événemens et de péripéties, la marche du roman de l’Ennui est simple et les ressorts