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MARS 1812

terre. J’entends dire que ses funestes influences se font aussi sentir chez nous, et que les mêmes raisons qui ont fait réussir les Mémoires de Glenthorn chez nos voisins, pourraient bien faire leur succès en France. On a publié depuis peu un recueil de lettres écrites par une dame, célèbre, dans le siècle dernier, par son esprit et ses relations avec tout ce que la France avait alors d’hommes distingués. On a été surpris de voir combien elle s’ennuyait : c’est peut-être la seule impression qui reste de la lecture des lettres de Mme du Deffant ; elle rend compte à un ami de ses occupations journalières, et cette femme à qui, malgré la privation de la vue, les plaisirs de l’esprit et de la société devaient offrir tant de ressources, semble n’écrire le plus souvent que l’histoire de l’ennui, dont miss Edgeworth nous donne le roman. Mme de Sévigné parle aussi de l’ennui qu’elle appelle une vilaine bête ; mais, quoiqu’elle le définisse bien, elle paraît l’avoir peu connu ; c’est un mal dont elle trouvait le remède dans un bon emploi du tems, et sur-tout dans son active tendresse pour sa famille et ses amis. Cette dernière ressource qui, pour les gens d’un certain état, peut seule suppléer à la vie active et laborieuse, paraît avoir tout-à-fait manqué à Mme du Deffant. Peut-être aussi exagère-t-elle l’ennui dont elle se plaint ; peut-être, en paraissant ainsi ennuyée de tout ce qu’elle entend, de tout ce qui l’entoure, ne veut-elle que donner à son ami une plus haute opinion d’elle-même. Ce ne serait alors qu’une longue épigramme et une variante un peu triste de ce mot d’amour-propre si connu : En vérité, je ne vois que vous et moi qui ayons de l’esprit.

Si l’on ne savait déjà que l’ingénieux auteur de l’Ennui est une Irlandaise, on le devinerait à la simple lecture de ce roman. Miss Edgeworth paraît s’être attachée particulièrement à peindre les mœurs et le caractère de sa nation, trop souvent défigurés dans les comédies et les romans anglais : effet singulier de ces rivalités qu’on remarque entre des nations étrangères, mais qui devient plus tranchant encore entre des royaumes unis. Miss Edgeworth s’est-elle assez défendue à son tour de toutes préventions ? Le peintre qui a dessiné avec tant de finesse