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MERCURE DE FRANCE

barbare, perdu dans un immense et vieux château qu’il compare lui-même à ceux dont Mme Radcliffe nous a fait de si effroyables peintures, ne paraissait pas destiné à trouver dans cette demeure le remède à son mal. Il ne s’était encore ennuyé qu’en simple gentilhomme ; il lui restait à s’ennuyer comme un seigneur féodal. Le comte allait succomber à ce rengrégement d’ennui, s’il ne s’était avisé qu’un grand seigneur pouvait parfois faire des heureux et que cette manière de passer le tems en valait bien une autre ; mais les difficultés qu’on éprouve souvent, même à faire le bien, l’eurent bientôt rebuté. Il aurait voulu améliorer le sort de ses vassaux comme il aurait changé la forme d’un parc ou l’ameublement de son château. Aussi tous ses projets d’amélioration étaient-ils fort sagement combattus par son intendant, écossais flegmatique, ferré sur la Richesse des nations de Smith et grand ennemi de toute innovation. Cependant une fermentation sourde et des menées secrètes menaçaient alors l’Irlande d’une révolution. Le courage et l’habileté du comte servirent à comprimer les rebelles. Il les surprit et les livra à la justice. Cette expédition lui avait procuré les seuls vrais plaisirs qu’il eut encore éprouvés, celui d’avoir fait son devoir, de se reposer après la fatigue, et de manger en ayant faim ; mais au moment où il venait de se montrer le plus digne de sa fortune et de son rang, une circonstance imprévue vient lui apprendre que le château de Glenthorn n’était pas à lui, que ce nom même ne lui appartenait pas, qu’enfin il était le fils… Mais je n’en dirai pas davantage. Qu’il suffise au lecteur de savoir que le comte, en qui la mollesse et l’oisiveté n’avaient pas étouffé le sentiment de l’honneur, restitue au véritable propriétaire ses biens et son nom ; et de grand seigneur désœuvré, à charge à lui-même, devient un jurisconsulte habile, laborieux, un homme enfin. Qui sait même s’il ne redeviendra pas un jour et véritablement, cette fois, comte de Glenthorn ?

Ce roman de miss Edgeworth a eu, dit-on, le plus grand succès dans la patrie de l’auteur : cela devait être ; la maladie de l’ame qu’il combat, et dont il indique le préservatif, l’ennui, paraît être endémique en Angle-