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MARS 1812

courses de chevaux, les paris, les combats de boxeurs, genre d’escrime dans lequel le comte était devenu un théoricien assez habile, tout cela n’avait servi qu’à l’endetter sans le distraire. Il se maria et n’en fut que plus ennuyé. Enfin, il eut le bonheur de faire une chute de cheval, dont on le releva sans connaissance et en grand danger pour sa vie. Un accident de cette nature est presque une bonne fortune pour un homme sur qui l’ennui exerce un aussi cruel empire. La maladie distrait toujours un peu, et les soins de la convalescence aident à tuer le tems. Le comte de Glenthorn devait en retirer d’autres avantages encore : il apprit à connaître le tendre attachement de sa nourrice Ellinor, bonne Irlandaise, qui, ne l’ayant pas vu depuis l’âge de deux ans, était venue du comté de Glenthorn, à pied, pour l’embrasser, et dont les caresses n’avaient même pas peu contribué à effrayer le cheval du comte et à le renverser. Il apprit de plus à connaître un fripon qui se disait son ami pour le voler et enlever sa femme. Le comte qui, depuis son mariage, n’avait jamais pensé à lady Glenthorn, en devint presque amoureux, quand il s’en vit abandonné. Elle demandait le divorce ; le comte plaida contre elle et perdit ; il plaida aussi contre son tuteur et perdit de même. Toutefois il s’était assez bien trouvé du régime de plaideur. Si sa fortune en avait souffert, son ame y avait gagné un peu de ressort et d’activité ; mais enfin, il n’avait plus de procès à suivre, et il était parfaitement rétabli de sa chute. Il allait donc retrouver l’ennui, son ennemi mortel. Il résolut cette fois de le dépayser et de faire un voyage dans ses domaines d’Irlande. « Fatigué de l’Angleterre, j’avais besoin, dit-il, d’un spectacle nouveau, dût-il être cent fois pire que tout ce que je connaissais. Telles étaient mes secrètes raisons ; j’en alléguai de plus nobles et d’assez plausibles. Il était de mon devoir de visiter mes vassaux et de les encourager en passant quelque tems au milieu d’eux. On se fait volontiers des devoirs de ce qui nous convient et de ce qui entre dans nos goûts. » Celui que n’avaient pu distraire les plaisirs bruyans d’une capitale, seul, au fond d’une province inculte et presque