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moi. Le poète posa sa seconde pipe, & me récita alors des vers fort obscurs, de je ne sais quelle tragédie romanesque, qu’il avoit composée de mémoire, & qu’il récitoit de même. Je ne compris rien au sujet ni au plan de sa tragédie. Il y avoit dans ses vers force imprécations contre les dieux, & sur-tout contre les rois qu’il n’aimoit pas. Le poète me parut fort bon homme, très-distrait, aimant à rêver, & parlant peu. Sa maîtresse avoit dans l’expression toute la malice qui étoit dans ses yeux. Le poète ayant récité ses vers ne fit que fumer. Je m’entretins avec sa maîtresse. Je cherchois de l’œil où pouvoient être ses jambes, tandis que celles du poète figuroient nues, comme les jambes d’un athlète qui se repose après avoir lutté dans l’arène. Je me levai, & les chiens se levèrent aussi, aboyèrent de nouveau, & m’accompagnèrent jusqu’à la porte de la rue. Le poète ne les réprimandoit qu’avec douceur ; la tendresse perçoit à travers le commandement. Lui seul pouvoit vivre au milieu de cette malpropreté canine. Je ne