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Il s’est fait indigent de peur de le paroître.
Pour son leste équipage il fondit ses contrats ;
Le soin de ses chevaux est pris sur ses repas.
En faveur des rubis, dont sa femme étincelle,
Hier chez l’usurier on porta la vaisselle.
Son cocher coûte cher. En revanche à son fils
Il achete au hasard un pédant à bas prix.
Et le cruel enfin condamne dans sa rage
Sa fille au célibat, & sa femme au veuvage.
Eh, mon ami, crois-moi, ton éclat fait pitié :
Le bonheur suit souvent un bon bourgeois à pié ;
Et ton char fastueux promene la misere.
« En effet, me répond ce gros millionnaire ;
» Ce discours que j’approuve est bon pour un faquin,
» Dont l’aisance éphémere expirera demain.
» Avoir du goût chez lui seroit une insolence ;
» Mais moi, chargé du poids d’une fortune immense,
» Je dois m’en délivrer avec le noble éclat
» Que demande mon nom, qu’impose mon état. »
Quoi, ton or t’importune ? Ô richesse imprudente !
Pourquoi donc près de toi cette veuve indigente,
Ces enfans dans leur fleur desséchés par la faim,
Et ces filles sans dot & ces vieillards sans pain ?
Ton or te pese, ingrat ! Connois la bienfaisance ;
Sois pour les malheureux une autre providence.