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Faites qu’incognito sa maîtresse soit belle,
Et je veux dès demain le voir époux fidelle.
Que pour son cuisinier il ne soit plus cité,
Et je me fais garant de sa frugalité.
L’or, pauvre genre humain, vous fut donné, je pense,
Pour être le hochet de votre vieille enfance.
L’un, n’osant y toucher, l’enterre tristement ;
L’autre, au lieu d’en user, le jette follement.
Dis-moi, de ces deux foux lequel l’est davantage,
Ou l’avare opulent qui s’en défend l’usage,
Ou le sot fastueux qui, fier d’un vain fracas,
Le dépense en objets dont il ne jouit pas ?
Le chef de ses concerts lui choisit sa musique,
Des peintres ses tableaux, des auteurs sa critique,
Un cuisinier ses mets. Jouissant par autrui,
Il ne voit, ni n’entend, ni ne mange pour lui.
Heureux encor, heureux, si les airs qu’il se donne
Font rire à ses dépens sans ruiner personne !
Car nous sommes bien loin de ce siecle grossier,
Où l’on croyoit encor qu’acheter est payer.
Ô quels pleurs verseroit un nouvel Héraclite !
Que de bon cœur riroit un nouveau Démocrite,
S’ils voyoient chaque état d’un vain faste s’enfler,
Jusqu’à l’homme opulent le pauvre se gonfler,
Le seigneur aux commis disputer l’élégance,
Le duc des traitans même affecter la dépense,