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était le Kain : uniquement voué aux productions de M. de Voltaire, il avoit fait le vœu secret d’étouffer tout ouvrage qui n’arriveroit pas de Ferney.

Je l’ai vu effrontément se dire malade, lorsqu’il avoit joué sept ou huit fois dans un hiver. Il abandonnoit le théatre de la capitale, montait en chaise de poste, & alloit essayer s’il se porteroit mieux en province, en représentant deux fois par jour : alors il bravoit les plus grandes chaleurs de l’été. S’il daignoit encore jouer à Paris, c’étoit seulement pour ne pas perdre la mémoire de huit ou dix rôles à peu près semblables, qu’il promenoit ensuite de tous côtés, dès que les beaux jours étoient venus. On le payoit à Paris, tandis qu’il déclamoit à Bruxelles.

Avec trois habits & un turban, cet acteur emportoit avec lui toute la tragédie françoise. Il ne lui en falloit pas davantage pour vêtir sa Melpomene ; il ne lui connoissoit qu’un visage & qu’une attitude : de là son jeu circonscrit ; car il n’appercevoit rien au delà