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Les pauvres dupes, qui sont à considérer la Samaritaine & son carillon, qui n’ont jamais fait un bon repas dans toute leur vie, sont tentés d’en faire un, & troquent leur liberté pour un jour heureux. On fait résonner à leurs oreilles un sac d’écus, & l’on crie, qui en veut ? qui en veut ? C’est de cette maniere qu’on vient à bout de compléter une armée de héros qui feront la gloire de l’état & du monarque. Ces héros coûtent au bas du Pont-Neuf trente livres piece : quand ils sont beaux hommes, on leur donne quelque chose de plus. Les fils d’artisans croient affliger beaucoup leurs peres & meres en s’engageant : les parens les dégagent quelquefois, & rachetent cent écus l’homme qui n’en a coûté que dix ; cet argent tourne au profit du colonel & des officiers recruteurs.

Ces recruteurs se promenent la tête haute, l’épée sur la hanche, appellant tout haut les jeunes gens qui passent, leur frappant sur l’épaule, les prenant sous le bras, les invitant à venir avec eux, d’une voix qu’ils tâchent