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aura peine à se figurer la gaîté folle, la turbulence, l’ivresse bouffonne du Parisien allant à la cour chercher le boulanger, la boulangère et le petit Mitron ; c’était ainsi qu’il appelait la famille royale. Deux cent mille hommes sur les routes, riant, hurlant, dansant, vociférant, disant : on l’amène ; chaque soldat tenant sous le bras une fille publique ; les harengères assises sur les canons, d’autres mettant sur leurs têtes les bonnets de grenadiers ; les tonneaux de vin près les barils de poudre ; des branches verdoyantes dans le canon des fusils ; l’allégresse, les cris, les clameurs, l’image des anciennes saturnales, rien ne saurait peindre ce cortège qui entraînait le monarque. Jamais soliveau ne fut balloté dans le marais des grenouilles de telle manière : les nobles cachés dans la foule, animaient ce tumulte, et jouissaient de la confusion du chef qu’ils comptaient bientôt remplacer.

Il en fut de même lorsqu’on le ramena de Varennes ; on eût dit que c’était l’institution d’une fête annuelle pour se réjouir aux dépens de la cour. Le Parisien, selon sa propre expression, se faisait une farce de ses jours tumultueux, où l’extrême licence avait un tel caractère d’originalité et de folie, qu’on aurait eu peine à lui trouver un nom.

On eût dit du roi de la Basoche que l’on promenait, que l’on environnait, au lieu du descendant de Louis XIV. Tous les esprits étaient désenchantés, et comme il n’y avait plus la moindre ombre de respect, ce n’était qu’une orgie journellement plaisante au milieu des événements politiques les plus graves. Terrible gaîté du Parisien ! vous êtes plus dangereuse que ses fureurs.

La familiarité populacière qui embrassa le boulanger et le petit mitron, fit plus encore pour la révolution, que les piques, les faux, et les croissants emmanchés au bout des longs bâtons.

Aristote a défini l’homme un animal risible, mais on ne peut pas imaginer à quel point il l’est et peut le devenir, si l’on n’a point vu ces scènes facétieuses, ces imaginations