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On prétend que ce fut le comédien Dugazon qui prévint le commandement de Santerre, et ordonna, comme émané du chef, le roulement de tambour. La religion semble aussi l’avoir affermi dans cet horrible passage du trône à l’échafaud ; et les paroles du confesseur furent sublimes : Allez, fils de saint Louis, montez au ciel ![1]

À un certain point de vue de hauteur, les trônes ne sont que des monticules ; et la mort d’un roi sur l’échafaud n’est point de ces événements qui troublent l’ordre physique, ou qui puissent interrompre une des moindres lois de la Nature, encore moins la marche des choses d’ici-bas. Louis XVI pouvait mourir d’une mort plus douloureuse encore ; mais les hommes, en renversant une idole, sont encore effrayés eux-mêmes des coups qu’ils lui portent ; et nous sommes tous plus ou moins semblables au statuaire qui tomba à genoux devant son propre ouvrage.

Ce que je puis attester, c’est que, cinq à six jours après le supplice, la plupart des législateurs qui avaient voté la mort, furent comme effrayés de ce qu’ils avaient fait ; ils se regardaient l’un l’autre avec étonnement ; ils éprouvaient une sorte de crainte intérieure, qui, chez quelques-uns, ressemblait au repentir. Tantôt ils évitaient ceux qui avaient été de l’avis contraire ; ils n’osaient les interroger. Je me souviens très-bien qu’ils se groupaient, qu’ils se parlaient entre eux, et que notre approche les embarrassait.

Ce qu’il y a de certain, c’est qu’à cette époque, une séparation presque absolue s’établit entre ceux qui avaient ou n’avaient pas voté la mort ; que les inimitiés s’enflammèrent, que les haines s’accrurent, que les reproches voilés ou connus prirent un caractère effrayant, et qu’enfin le supplice de Louis XVI menaçait tous ceux qui avaient voulu l’en préserver.

  1. L’abbé Edgeworth ne mentionne pas avoir prononcé ces paroles dans les dernières heures du roi. Elles sont d’ailleurs très contestées.