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fragment de ses vêtements ou un vestige sanglant de cette scène tragique. J’ai vu défiler tout le peuple se tenant sous le bras, riant, causant familièrement, comme lorsqu’on revient d’une fête.

Aucune altération n’était sur les visages ; et l’on a menti, lorsqu’on a imprimé que la stupeur régnait dans la ville[1]. Ce ne fut que quelques jours après que la réflexion, et je ne sais quelle crainte inquiète de l’avenir jetèrent des nuages dans les sociétés particulières. Le jour du supplice ne fit aucune impression ; les spectacles s’ouvrirent comme de coutume ; les cabarets, du côté de la place ensanglantée, vidèrent leurs brocs comme à l’ordinaire ; on cria les gâteaux et les petits pâtés autour du corps décapité : il fut mis comme un autre criminel dans le panier d’osier, conduit au cimetière de la Magdeleine, où il reçut une ample dose de chaux vive qui le calcina de manière qu’il serait impossible à tout l’or des potentats de l’Europe, de faire la plus petite relique de ses restes.

Ce fut le ministre de la justice qui lui annonça et lui lut le décret de mort. Il paraît que Louis XVI eut quelque espoir jusqu’au dernier moment, car il est certain qu’il s’emporta et qu’il livra une espèce de combat à ses six bourreaux ; il parla assez longtemps et assez hautement[2].

  1. On dansa près du pont de la Révolution le jour de la mort de Louis XVI (21 janvier 1793).
  2. Cette lutte de Louis avec ses bourreaux eut lieu lorsqu’on voulut lui lier les mains. L’abbé Edgeworth lui adressa quelques mots qui le ramenèrent à des sentiments plus calmes. « On lui attacha les mains, dit Louis Blanc, d’après Edgeworth et les journaux du temps, on lui coupa les cheveux ; après quoi, sur les bras de son confesseur, il se mit à gravir les marches, d’ailleurs très raides, de la guillotine, d’un pas lent, d’un air affaissé. Mais parvenu à la dernière marche, il se relève soudain, traverse rapidement toute la largeur de l’échafaud, s’avance vers le côté gauche, et, d’un signe, commandant le silence aux tambours : « Je meurs innocent de tous les crimes qu’on m’impute… »  » Il avait la figure très rouge et sa voix était si forte qu’elle dut être entendue au Pont-Tournant. Quelques autres paroles de lui retentirent très distinctement. Il allait continuer lorsque sa voix fut couverte par des roulements de tambours.
    (Note de l’édition Poulet-Malassis.)