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Au premier coup du tocsin, chacun se demandait avec raison pourquoi au moindre danger on se complaisait à jeter ainsi l’alarme dans Paris, et à frapper de terreur tous ses habitants, loin d’entretenir dans leur âme cette mâle énergie, qui convient à des guerriers et assure le gain des batailles ; n’était-ce pas en effet un moyen puissant d’énerver leur courage ? Mais ceux qui ne connaissaient pas le secret des conjurés, furent bientôt instruits par leur propre expérience. Oh, jour de deuil et d’opprobre ! C’était à ce signal que devaient se réunir les assassins qui se portèrent aux prisons ; c’était le prélude du plus affreux carnage.

Les brigands, distribués par bandes, se portent aux prisons ; aux unes ils fracturent les portes, aux autres ils se font livrer les geôliers et s’emparent des victimes, que le comité de surveillance y avait amoncelées pendant quinze jours.

Ces assassins armés de sabres et d’instruments meurtriers, les bras retroussés jusqu’aux coudes, ayant à la main des listes de proscription dressées quelques jours auparavant, appelaient nominativement chaque prisonnier.

Des membres du conseil général, revêtus de l’écharpe tricolore, et d’autres particuliers s’établissaient au guichet dans l’intérieur de la prison ; là, était une table couverte de bouteilles et de verres ; autour, étaient groupés les prétendus juges et quelques-uns des exécuteurs de leurs sentences de mort. Au milieu de la table était déposé le registre d’écrou.

Les assassins allaient d’une chambre à l’autre, appelaient chaque prisonnier à tour de rôle, puis le conduisaient devant le tribunal de sang, qui lui faisait ordinairement cette question : qui êtes-vous ? aussitôt après que le prisonnier avait décliné son nom, les cannibales en écharpes inspectaient le registre, et après quelques interpellations aussi vagues qu’insignifiantes, ils le remettaient entre les mains des satellites de leurs cruautés, qui le conduisaient à la porte de