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mille citoyens de toutes les classes, de tout âge et de tout sexe, formant le plus superbe tableau de concorde, de travail, de mouvement et d’allégresse, qui ait jamais été exposé[1] : oh ! quels sont les monstres qui ont effacé ces couleurs si riantes ? Quels hommes que ces bons et braves citoyens de Paris qui surent transformer huit jours de travail en des jours de fête, la plus touchante, la plus inopinée et la plus neuve qui fut jamais. C’est un genre de spectacle si original, qu’il est impossible que les hommes les plus blasés n’en soient pas remués. Dans un espace immense rempli de citoyens vraiment actifs, et qui dévoraient le travail, s’offraient tout à la fois les scènes les plus variées : ici, ils s’attendrissaient à la vue de leur général, qui venait prendre part au travail de ses concitoyens : là, c’étaient des acclamations et des cris de joie à l’arrivée de la maison du roi : plus bas, c’était une musique militaire qui annonçait les Suisses, ces enfants de la liberté, qui venaient partager la fête avec leurs anciens amis et alliés. À côté des garçons jardiniers, distingués par des rieurs et des laitues attachées à leurs instruments, étaient les élèves de peinture qu’annonçait une bannière représentant la France. À leur suite venait l’espoir des races futures, les rejetons de nos législateurs, qui passaient gaîment des exercices du collège au travail du Champ-de-Mars. À travers un groupe de moines, de femmes, d’abbés et de charbonniers, j’aperçus le brave capitaine Kersaint avec une physionomie toute radieuse de liberté, poussant la brouette avec la même gaieté qu’il montait la belle poule, ou qu’il irait combattre les ennemis de la patrie.

Le résultat d’une aussi belle et aussi étonnante fraternité mérite d’être transmis à la postérité la plus reculée. Lorsque les fédérés furent arrivés, on vit la plus solennelle des fédérations, le plus beau triomphe des peuples, un jour enfin d’alliance, d’étonnement, d’admiration et d’attendrissement. Dans ce jour solennel, ce fut comme une expérience

  1. Ceci se passait en juillet 1790.