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nous n’avons pas plus l’air d’être en guerre qu’en révolution. Les étrangers qui lisent nos journaux, ne nous voient que couverts de sang, de lambeaux et de toutes les livrées de la misère. Quelle doit être leur surprise, en arrivant à Paris par la route de Chaillot, en traversant cette magnifique allée des Champs-Élysées, bordée des deux côtés d’élégants phaétons, peuplée de femmes charmantes ; et poursuivant sa route, attiré par cette perspective magique, ouverte à travers le jardin des Tuileries, en parcourant ce beau jardin plus riche, mieux tenu qu’il ne le fut jamais dans les temps les plus prospères de la monarchie ?[1] Que doit-il penser et des Français, et de leurs journaux, et de l’histoire, et de notre misère ?

Là les femmes sont très brillantes, les voitures très nombreuses, et le Bois de Boulogne très suivi. On crie cependant toujours misère ; c’est que derrière ces riches tapisseries, sont cachés les rentiers, les pensionnaires de l’état, les malheureux froissés par la révolution. Ils crient, ceux-là, et ils ont raison. Un Juvénal ferait aussi retentir l’air de ses cris ; mais parviendrait-il à faire entendre sa voix, à faire cesser le hideux contraste de la plus insolente richesse étalée à côté de la plus affreuse misère ?

Tel est le résultat, et presque inévitable, d’une immense population. Le mot égalité n’en fait point la chose ; c’est le fruit du temps et des institutions civiles les plus difficiles à tracer. L’inégalité des fortunes, comment y remédier ? comment se fixer dans un juste milieu, tandis qu’il est si naturel aux gouvernés comme aux gouvernants de se précipiter dans les extrêmes ? Si vous avez de l’industrie, vous aurez nécessairement du luxe ; si vous avez du luxe, vous aurez des misérables ; si vous n’avez point d’industrie vous serez tous égaux en misère. L’égalité démocratique et l’égalité despotique sont situées aux deux points opposés

  1. Ce fut sous la Convention et par les soins de Robespierre que l’on construisit à l’entrée des massifs de marronniers ces deux hémicycles de marbre blanc où, loin des fêtes patriotiques, devaient s’asseoir les vieillards. (Note de l’édition Poulet-Malassis).