Page:Mercier - Le Nouveau Paris, 1900.djvu/30

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pays l’histoire de l’espèce humaine. À entendre tous les cris douloureux jetés contre la Révolution, on eût dit que le Parisien n’avait jamais lu l’histoire, ou qu’il s’était cru un être privilégié à jamais exempt de ces calamités anciennes qui ne devaient plus figurer que sur des pages muettes ; c’est ainsi qu’on lit des livres de médecine en pleine santé, et que l’on s’étonne, qu’on s’afflige, qu’on gémit de la maladie qui vient nous frapper, comme si elle ne devait appartenir qu’aux autres. L’enfant qui bat la table contre laquelle il s’est blessé n’est qu’une faible image de la déraison parisienne accusant toute la nature, tous les hommes, tous les événements des maux politiques dont sa ville fut le centre. Le Parisien n’avait pu imaginer ce qui était arrivé ; il crut que c’était un fléau unique, uniquement créé, arrangé, préparé contre lui, et le langage de sa douleur donna dans de tels excès, qu’il en devint plaisant et comique, car c’était un mélange incroyable, et tout ce que l’esprit et la sottise pouvaient rassembler de plus neuf.

On se mit à dépouiller l’histoire ancienne et moderne ; et tout ce qui pouvait avoir trait aux événements du jour fut saisi comme prédiction, prophétie. Tous les livres qui portaient pour titre Révolution furent achetés, enlevés ; des éditions qui pourrissaient dans les magasins du libraire virent le jour, et l’on n’entendait plus que des voix qui demandaient à tous les bouquinistes : donnez-moi l’histoire d’une révolution !

Ainsi l’on peut savoir quelle sera la destinée de tel livre, lorsqu’après avoir été oublié et dédaigné pendant plus de cent cinquante ans il vient à être lu, recherché, et à obtenir les honneurs de la reliure dans une bibliothèque. Aux ventes l’on entendait toutes ces paroles : à moi les révolutions romaines, celles d’Italie, de Suède : des libraires pour vendre des bouquins firent de faux-titres, et sur la simple étiquette on donnait son argent. Toutes ces lectures ne firent ni du noble, ni du roturier un être patient ; ils prétendirent qu’ils auraient dû être inaccessibles à ces coups du sort, et ils chargèrent d’imprécations tout ce qui n’avait pas