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Me voilà face à face du cartomancier. Je n’ai point consulté l’oracle sur les événements futurs ou passés ; mais il m’a parlé (à la suite de quelques mots que je lui dis) de sa grande célébrité et des visites nombreuses et journalières qui depuis longtemps n’étaient pas interrompues. Il était obligé de travailler telle destinée deux ou trois jours, tandis qu’il ne fallait que deux minutes pour une autre. Il tenait ce secret prophétique de son père auquel il avait été légué et par succession de temps immémorial. — Pour quel objet vous consulte-t-on le plus ordinairement ? — Pour les vols, me dit-il, pour les mariages, pour les effets perdus, pour les affaires de galanterie ; mais il n’y a que moi pour les vols, appuya-t-il avec un ton altier ; la police elle-même me consulte, et je suis toujours le premier qui indique l’endroit où s’est réfugié le voleur.

À ces étonnantes paroles je restai muet. — La police vous consulte ! Oui, reprit-il, d’un ton affirmatif ; car il n’y a que moi pour les vols ; et, italianisant de plus belle, il entra dans des détails qui prolongèrent notre entretien. L’assurance de sa physionomie ne varia point ; et il avait le ton et le propos d’un militaire qui raconte ses prouesses.

Ce qui a le plus frappé mon œil observateur, c’est que nul ne paraît honteux d’être venu en ce lieu interroger le sort ; et c’est ce qui m’a surpris plus que tout le reste : on eût dit d’un café achalandé, et ayant enseigne. Il me venait une foule de réflexions. Cet empressement, me disais-je, est-il fondé sur quelques chances heureuses, sur quelques ambiguïtés adroitement présentées, et saisies avec empressement par l’auditeur bénévole, ou plutôt n’est-il dû qu’à l’imagination craintive de l’homme ?

Martin ne s’explique point sur les premières causes qui font courir chez lui tant de monde, car il ne pourrait pas vous parler sur la moindre question métaphysique ou morale ; mais il paraît être dans la ferme persuasion que des signes matériels annoncent et précèdent les événements de notre vie, et il regarde les formules qu’il emploie comme des vérités mathématiques. C’est un ignorant du premier