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tranquille plaisir, dans la Bible, l’image de la terre promise.

Tandis que la haute bourgeoisie, qui remplace la haute noblesse, vole en cabriolets à deux coursiers, vers les nouveaux jardins d’Armide, pour bâiller sous des saules pleureurs chargés de lampions septicolores, ou contempler, la lorgnette en main, quelques moutons errants sur des collines de six pieds de haut, la classe ouvrière, dédaignant ces fastueuses puérilités, continue d’aller admirer en liberté la nature aux Prés Saint-Gervais.

Elle ne cherche point dans ces riants vergers, les restaurateurs qui servent les potages à la Condé, mais de simples laitières, de modestes guinguettes dont les violons animent, au loin, le chant des oiseaux ; elle n’y voit que de joyeux convives qui, assis à l’ombre des pommiers, font, parmi les papillons et les fleurs, un champêtre repas.

Dans ce joli séjour, tout est vrai, tout est fraîcheur, tout est vie, tout est beauté ravissante. Pour concert, on a le ramage des rossignols, et la voix de mille amants, pour ombrage, des allées de cerisiers ; pour parterres, des carrés de fraises parfumées ; pour cascades, des ruisseaux qui roulent à petit bruit, sur un lit de cailloux, leur onde limpide.

Et quand l’automne montre sa tête chargée de fruits, quand la vigne laisse pendre ses grappes empourprées du haut des ormes qu’elle embrasse de ses rameaux, l’on y retourne encore pour jouir de ces dons, les uns pour toucher à la pomme défendue, les autres pour ravir de plus douces faveurs.

Ah ! que dans ces lieux enchantés la fin d’un beau jour a de charmes ! Et que le commencement du crépuscule y inspire de tendres désirs !

Souvent[1], à cet instant fortuné, une nouvelle Daphné s’échappe d’un bocage, et fuit un autre Apollon. L’amant, l’œil enflammé, poursuit avec l’aile du désir, l’objet de son

  1. J’ai été témoin de cette jolie aventure. (Note de Mercier.)