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ne battent plus que machinalement ; les lanternes colorées fument et pâlissent. Sortons pour rentrer demain dans les bals bourgeois.

Hé bien ! qui s’en douterait ? j’y ai là à deviner, mais beaucoup plus qu’ailleurs : le trait ressemblant y est bien plus difficile à saisir ; oui, infiniment plus de détails et de nuances, sous un premier aspect d’abord assez uniforme. La dissimulation, et la plus adroite règne ici, parce que l’on danse sous le regard des mamans, des tantes, des oncles et des frères. Il faut que la fille trompe tous ces nigauds : elle y songe ; elle y parvient. Dans ces bals, les mamans conduisent leurs filles il est vrai, mais à peu près comme ces bonnes qui accompagnent de jeunes actrices jusque dans les coulisses, et le tout pour la forme. Ces jeunes personnes sont d’abord comme honteuses des pirouettes, des rigaudons et des entrechats qu’elles entreprennent ; mais ce pas qu’elles ont médité, qu’elles ont étudié, qu’elles ont répété si laborieusement en présence du maître, sera pour elles, à ce qu’elles imaginent, le premier pas à la fortune. Elles dansent avec des intentions matrimoniales ; car elles visent toutes à épouser le plus riche du quartier. C’est ce qui sanctifie aux yeux des mamans le péché du bal. Le confesseur a perdu de son crédit ; mais il le reprend avec usure, quand il tolère le bal, et qu’il condamne et réprouve la République ; puis plus d’une fille pauvre a trouvé à se marier avantageusement, pour avoir fait preuve de cadence et de légèreté. Aussi les jeunes filles, ce que l’on n’avait pas encore vu, vont-elles partout. Il n’y a plus de ce qu’on appelait des séducteurs, depuis que la grande facilité des mariages, depuis que le divorce est venu si complaisamment au secours de toutes nos fantaisies. On ne redoute ni le contrat ni l’engagement qu’on peut rompre, refaire et dénouer. On ne craint plus ces accidents, qui autrefois entachaient une famille pour un demi-siècle.

Ainsi les bals ont remplacé, pour les filles, les couvents : on allait les voir à la grille ; on va faire l’entrevue chez le