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Chacun est immobile sous le vent des danseurs ; et les femmes, que l’on juge à haute voix, passent et repassent avec vélocité, comme indifférentes aux éloges ; mais leur oreille n’a rien perdu de tout ce qui s’est dit sur leur compte. Leurs yeux qui semblent invariablement fixés sur leurs danseurs, ne s’échappent sur le cercle qu’avec une telle rapidité, qu’il faut étudier avec attention ce mouvement pour le saisir ; et cependant elles ont tout vu.

Plus loin, ce sont des courtisanes en groupes séparés. Là, le mouvement est encore plus rapide : étincelantes de diamants, elles en agitent toutes les aigrettes aux lumières. Elles mettent dans leur danse une expression plus caractérisée : on voit bien qu’elles craignent de paraître trop lascives ; mais le regard, le regard qui ne ment jamais, les décèle. Elles ne peuvent, et ne pourront jamais imiter les gestes, les repos voluptueux, mais décents, des autres femmes. Aussi les discours autour d’elles acquièrent-ils une sorte de licence qui n’existe point à trente pas de distance de ces groupes : ceux-ci, je vous l’atteste, ont payé un plus large tribut au parfumeur.

Tout à coup, à un certain signal, tous ces groupes se divisent ; les banquettes vides sont à l’instant occupées et uniquement par les femmes. Quelle nouveauté annonce ce dérangement ? C’est un concert qui commence. Alors les femmes, que retenait en dansant le désir de la supériorité sur leurs rivales, et l’attention qu’exigeaient les figures variées et multipliées des contre-danses, commencent à parler. Les hommes debout les dominent et les observent. Elles semblent s’être placées là pour recueillir les hommages dus à leur légèreté. On distingue celles qui ont mis des bagues aux doigts de leurs pieds, celles qui portent un vêtement étroit, couleur de chair, et si étroit, qu’on peut gager qu’il n’y a pas de chemise sur la peau.

Un bourdonnement confus étouffe le concert ; les sarcasmes, qui ont remplacé parmi nous l’ingénieuse épigramme, circulent. On maudit tout haut le gouvernement, lorsqu’il est doux et humain et l’on respectait le