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rables, enfin des ténèbres visibles, qui ne sont pas celles de Milton.

C’est à qui s’étudiera à tuer cinq à six heures en se mettant en branle. Mais dans le style des beaux bals, on y ressuscite le ton noble des anciens paladins, c’est le cavalier et la dame : tandis que dans les bals du peuple on dit : Le citoyen et la citoyenne. On conçoit bien que les annonces pour les bals des élégantissimes ne sauraient être rédigées que suivant l’idiome aristocratique : c’est tout simple ; et nos inconcevables, et nos merveilleuses ne sauraient entrer dans un bal de citoyens. Fi ! cela sentirait la république : et il est convenu et chez la femme du notaire et chez celle de l’épicier, que c’était là un mot qu’on ne pouvait entendre : une république danse-t-elle ? On a vu un roi danser : Louis XIV, Louis XV et les bals de la cour, qui les remplacera ? Qui remplacera le menuet de la cour, où la danseuse archiprincesse tournait le derrière à son danseur archiprince pour présenter le devant au roi de France ? Oh ! que cela était majestueux !

Mais les deux cents bals et les bals de Ruggieri, de Lucquet, de Mauduit, de Wenzel, de Montansier, tous les bals de société, même les plus élégants, quoique pleins, s’effacent comme des gratte-culs devant les roses, à l’aspect du bal de l’hôtel Richelieu, qui rassemble un monde, un monde incomparable. C’est l’arche des robes transparentes, des chapeaux surchargés de dentelles, d’or, de diamants, de gaze, et des mentons embéguinés ! Son entrée n’est permise qu’à une certaine aisance. Dans ce lieu enchanté cent déesses parfumées d’essences, couronnées de roses, flottent dans des robes athéniennes, exercent et poursuivent tour à tour les regards de nos incroyables à cheveux ébouriffés, à souliers à la turque, et ressemblants d’une manière si frappante à cette piquante et neuve gravure qui porte leurs noms, que je ne saurais en vérité la regarder comme une caricature.

Là les femmes sont nymphes, sultanes, sauvages ; tantôt Minerve ou Junon, tantôt Diane ou bien Eucharis.