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aux Champs-Elysées, le long des ports. On danse dans tous les cabarets où se réfugie l’infanterie de l’agiot, qui, après avoir trompé tout le jour les malheureux particuliers, fait encore là échec et mat à la fortune publique. Enfin, on danse chez tous les professeurs de rigaudons, qui s’appellent artistes, à l’exemple des histrions.

Il y a pourtant cette différence entre eux et les professeurs modernes d’entendement humain, qu’ils n’ont jamais cherché à savoir si quand l’homme dansait, son âme était alors dans son talon ou dans sa glande pinéale.

On réveille la nuit les ménétriers. On frappe, on sonne, on crie à leur porte, ainsi que l’on fait chez les accoucheurs dans les cas pressants. Eh ! vite ! levez-vous ! accourez ! on vous attend. Le ménétrier se frotte les yeux, jure. Quel chien de métier ! dit-il ; il se lève, il gronde, il s’habille ; il va gagner six écus de six livres, sans compter trois bouteilles de vin dont il ne laissera pas une goutte.

Tous les joueurs de violon sont retenus trois semaines à l’avance ; ils gagnent d’autant plus d’argent qu’ils vont longtemps. Aller longtemps ; voilà le mérite par excellence ; il faut aller toute une nuit, et que le poignet soit infatigable. Comment le violon a-t-il prévalu ? Je ne sais pourquoi ; mais il est couru, ce ménétrier, pourvu qu’il sache tenir l’archet jusqu’à quatre heures du matin ; et c’est là le fort du métier, que dis-je ? de l’art ! Le ménétrier enfin doit être fort du poignet, du bras, faire vibrer la corde !

Il est si important qu’il y a promesse, engagement par écrit ; car l’on ne badine pas avec l’administrateur d’un bal ! Le parjure violon qui manquerait à sa parole, qui tromperait l’attente d’une société dansante, serait plus en horreur que Marat, Drouet et Babœuf, et de plus serait cité devant le Juge de paix.

Il danse, le peuple souverain, il danse tous les jours ! Il n’est donc pas déjà si mécontent ? Et dans chacun de ces bals si renommés, il y a des salles de jeu, puis des buffets de rafraîchissements, des illuminations d’un côté, de l’autre des parties ombreuses, des demi-jours favo-