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ont pris leur origine dans les réduits de Palais-Egalité. C’est dans ce lieu infernal que les plus grands ennemis de la France ont ourdi leurs trames ; et un foyer d’impureté tel que celui-ci, s’il devait subsister longtemps, suffirait à miner la République la plus robuste. Le génie républicain ne pourra s’asseoir un jour que sur ses ruines, c’est-à-dire, lorsqu’il sera transformé en un édifice nouveau et utile à la chose publique.

Ce Palais a ses phases et non moins changeantes que celles de la lune. Dès que le jour tombe, toutes les arcades s’illuminent subitement, les boutiques deviennent resplendissantes, et les bocaux des joailliers jettent au loin une grande clarté. La foule devient plus nombreuse, et sort du jardin du commerce, car on pourrait ainsi l’appeler.

C’est l’instant où les académies de jeu s’ouvrent malgré toute la sévérité des lois de la police, et tandis que les grands escrocs taillent dans les salons, les petits travaillent dans les fréquents passages qui communiquent dans les rues adjacentes, et qui servent d’échappatoires aux filous et aux agioteurs qui abondent.

Autrefois c’était l’instant où les étrangers et les curieux allaient admirer dans les appartements secrets du duc d’Orléans, les figures obscènes de l’Arétin exécutées en cire, grandeur de nature ; c’était l’instant où le jeune homme, abandonné à lui-même, allait repaître ses yeux du spectacle de ce prétendu sauvage qui s’accouplait publiquement avec une femme de son espèce, à vingt-quatre sols par tête : et cet homme infâme, on le mit dans la même prison où étaient trente-deux représentants du peuple ! Là je l’ai vu ! Il en fut quitte pour quelques jours de captivité.

Vos pas, sous les arcades, sont arrêtés par une fumée qui vous prend aux jambes : vous regardez ; c’est la flamme de la cuisine des restaurateurs ; et tout à côté, des bals commencent dans les grottes souterraines. On aperçoit à travers les soupiraux, les rondes de filles qui sautent, qui ricanent, qui se ruent sur leurs cavaliers