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Lorsqu’il était environné de cette grande armée parisienne, je me disais : Oui, le voilà, cet être marqué du sceau d’une fatalité particulière : en naissant il fut l’objet de la haine de son grand-père qui détestait toute sa race, parce que son fils avait voulu le faire assassiner pour régner. Louis XV, à son tour avait empoisonné son fils pour se venger ; et il avait éteint dans ses petits-fils, par une méthode barbare, les sources de la génération. Louis XV, le plus crapuleux des hommes, avait ouvert, pour ainsi dire, cette carrière d’humiliation où était tombé son petit-fils toujours dominé par l’altière maison d’Autriche.[1]

Je la voyais à ses côtés, la moderne Frédégonde, ennemie née de la France, courbée sous le poids de sa rage impuissante et trahie, mourante de dépit et d’effroi, elle serrait dans ses bras, comme sa sauvegarde sacrée, l’héritier présomptif de la royauté qui semblait être puni par une main divine des forfaits de ses aïeux. Le parricide, le poison, l’inceste leur avaient été tout aussi familiers que dans l’ancienne maison d’Atrée et de Thyeste. Toutes ces grandeurs humaines abaissées, me faisaient songer à Bossuet, lorsqu’il tonnait au nom de Dieu sur la tête des rois.

Il a été donné à peu de mortels d’avoir vu ce que j’ai vu, et sous le jour surtout que je l’ai vu. Le règne de la terreur m’a enlevé et fait disparaître beaucoup de papiers où j’avais consigné mes réflexions. Les uns ont été brûlés par mes proches, dans la crainte qu’ils ne fussent surpris entre leurs mains ; d’autres ne m’ont pas été rendus ; mais il m’en reste assez pour donner à la postérité un aperçu de ces scènes neuves et grandes.

Je l’ai dit : Louis XVI était dévôt ; mais comment osait-il, s’il était dévôt, se parjurer à la face du ciel et de la terre, et tromper le peuple qui avait cru à des serments aussi solennels ? C’est parce qu’il était dévôt ; il ajoutait foi à la puissance d’un être supérieur à lui, à la puissance

  1. Voir le livre de MM. Savine et Bournand : Les Jours de Trianon (Louis-Michaud : Collection historique).