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les canons sont traînés ; le jardin des Tuileries, sans que l’on s’en soit douté la veille, est inondé de régiments de cavalerie ; des tentes sont dressées ; le pied des chevaux creuse la promenade des allées, leur dent offense l’écorce des jeunes arbres : c’est un camp. Chaque arbre a ses huit cavaliers en rond.

On est accoutumé au son du tambour, à voir les habits bleus ; on voit galoper dans les rues des dragons, des hussards ; on voit passer des généraux à doubles épaulettes, en écharpes, le panache rouge ornant le chapeau brodé.

On monte sa garde, on fait patrouille ; il y a des instructeurs de troupes de ligne qui sont chargés de montrer l’exercice aux citoyens. Dans toutes les salles publiques, vous voyez des drapeaux, des étendards ; et tous les feux d’artifice n’offrent que le bruit des bombes et la détonation de l’artillerie dans un jour de bataille. On brûle chaque jour de la poudre à canon et en quantité ; on jure, on fume comme à l’armée ; l’habit bleu est l’habit de tout le monde et tel ne se fait plus raser que dans l’éclat de bombe qu’il a fait venir de Lille ou de Valenciennes.

J’ai vu une armée, une armée redoutable : ce fut le jour que Louis Capet et Marie-Antoinette furent ramenés au château des Tuileries. Antoinette avait passé sous le nom de comtesse de Korff, Louis pour son valet de chambre, et Élisabeth pour sa chambrière. Les combattants sous Xerxès ne furent guère plus nombreux. On eût dit de la garde, non d’un roi prisonnier, mais du plus grand roi de la terre. Le cortège ne tarissait pas. On peut affirmer que de Strasbourg à Paris il y avait plus de cinq cent mille hommes sous les armes. Trois personnages étaient attachés sur l’avant-train de la voiture. Jamais la puissance du peuple n’a paru sous un jour plus redoutable, et le peuple, ce jour-là, s’est singulièrement respecté. Tout en armes, il ne s’est pas permis une expression insultante ou dérisoire ; et le roi lui-même prenant part à cet extraordinaire spectacle, souriait au peuple et disait avec une ingénuité propre à exciter le rire de pitié du sage : Eh bien ! me voilà !