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de bâts, fournisseurs de chandelles, de pipes, de jambes de bois, de béquilles, enfin des fournisseurs d’esprit, mais ce sont ceux qui gagnent le moins, parce qu’on n’y a recours qu’à la dernière extrémité, et que l’on marchande encore.


NICHES



Avant la Révolution, Monsieur, frère du roi, malgré le poids énorme de son individu, faisait de l’esprit, et tenait bureau d’esprit. Là, se préparaient maintes épigrammes, maintes niches contre les pauvres Parisiens. On cherchait à les mystifier ; on leur annonçait dans le journal de Paris les choses du monde les plus ridicules, et c’était là l’ouvrage de la coterie ; ils envoyaient Beaumarchais à Saint-Lazare se faire fouetter à cinquante cinq ans ; ils vivaient de bons mots, ils s’extasiaient de leur bon goût et de leur esprit.

Cette coterie déplut aux gens de lettres qui, blessés par le caractère méchamment caustique du gros prince, réagirent contre lui dans l’opinion publique. Il fut peint comme un mauvais auteur président d’un aréopage littéraire, où il n’était que le prête-nom de tout ce qui s’y disait.

Le gros prince se mêla aussi de conspiration et joua un rôle dans l’affaire du marquis de Favras[1], d’autant plus maladroit et d’autant plus lâche, qu’il se démasqua pour tout œil exercé, et qu’il fut cause de la pendaison du marquis qui poussa la complaisance jusqu’au point de taire le nom du prince ; dernier acte de courtisan que tous les courtisans trouvèrent sublime. Le gros prince prit la fuite au départ du roi pour Varennes, et, tour à tour, régent du royaume et

  1. Le marquis de Favras, à la tête d’un complot ayant pour but d’égorger Necker, Bailly et Lafayette et de mettre Louis XVI à la tête d’une armée contre-révolutionnaire, fut exécuté le 19 février 1790.