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un peu, furent tour à tour brisés dans le choc impétueux des événements.

Des hommes ineptes avaient dit : qu’en révolution il ne faut jamais regarder derrière soi. Cette maxime est très fausse. Les révolutions se conduisent et s’achèvent par ceux qui mesurent et comparent ce qui est fait, et ce qui reste à faire ; et les vertus morales deviennent d’autant plus nécessaires qu’on en a perdu toute idée, et que les dénominations injurieuses, c’est-à-dire les paroles dépourvues de sens, sont des arrêts de mort qui portent sur les citoyens les plus jaloux de la liberté et du bonheur de leur pays.

Ce sont toutes ces phrases insignifiantes, et même celles qui étaient le plus inintelligibles qui ont été le ciment des prisons et des échafauds. Les chefs de parti ont osé s’en servir avec un succès qui atteste que dans une nation éclairée le plus grand nombre d’individus ne l’est pas encore, et que les calamités particulières deviennent un pur spectacle pour ceux qui n’en sont pas atteints dans le moment.

Sans doute pour peindre tant de contrastes, il faudrait un historien comme Tacite, ou un poëte comme Shakspeare.

S’il apparaissait de mon vivant, ce Tacite, ce Shakspeare je lui dirais : Fais ton idiome ; car tu as à peindre ce qui ne s’est jamais vu, l’homme touchant dans le même moment les extrêmes, les deux terres de la férocité et de la grandeur humaine. Si, en traçant tant de scènes barbares, ton style est féroce, il n’en sera que plus vrai, que plus pittoresque ; secoue le joug de la syntaxe, s’il le faut, pour te faire mieux entendre : oblige-nous à te traduire : impose-nous, non le plaisir, mais la peine de te lire.

Je ne crois pas en effet que notre langue puisse marcher encore longtemps sans sortir de la gêne où une timidité gratuite la captive au milieu de tant de spectacles nouveaux et non moins étonnants. Si le style