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ver sa gestion, il fut le premier ministre que le roi voulut choisir dans la bourgeoisie. L’opinion publique proscrivait tous les autres ; elle applaudit au choix de celui-ci ; et pendant le très long cours de son ministère, eu égard à ceux qui l’avaient précédé ou qui l’ont suivi, il ne lui fut reproché ni orgueil, ni abus d’autorité. Ses fonctions pourtant avaient été aussi épineuses que brillantes ; car la fuite du roi à Varennes l’avait rendu la première personne de l’état ; mais il tenait autant à sa modestie qu’à ses habitudes ; son élévation ne l’avait point étourdi, et il aimait à descendre quelquefois dans le modique logement qu’il occupait avant de monter à l’hôtel du Garde des Sceaux. C’était comme un asile qu’il eût craint de ne plus retrouver, quand le jour des grandeurs serait éclipsé.

Les événements du 10 août auxquels il n’avait pris aucune part, l’enveloppèrent comme tant d’autres dans le décret d’accusation qui le traduisit dans les prisons d’Orléans pour y être jugé par la haute cour nationale. Échappé comme par miracle au massacre des prisonniers de cette ville, que les assassins de Septembre allèrent égorger pendant qu’on les transférait, Duport vint treize mois après apporter sa tête innocente au tribunal de Robespierre. Un même acte d’accusation lui avait donné pour compagnon d’infortune l’illustre et malheureux Barnave. Leur cause n’avait rien de commun ; ils se connaissaient à peine, et leurs principes n’avaient guère de ressemblance peut-être ; mais une seule victime ne suffisait pas pour chaque fois à ces bourreaux ; ils les accouplaient au hasard, comme pour accoutumer le peuple à les voir dans la suite accumulées par centaines, quoiqu’elles ne se connussent que par le jugement qui les avait convaincues de complicité. Duport eut beau démontrer son innocence, il eut beau produire les preuves écrites par Marat même, pour rendre témoignage de son patriotisme et de son respect pour la liberté de la presse, ses juges étaient si avides de son sang que le premier juré qui vota, oubliant que les questions étaient individuelles, s’écria avec fureur en prononçant la formule :