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Et lorsque le Verrès de Nantes écrivit à la Convention sur une noyade de cinquante-huit prêtres, et qu’il ajouta gaîment : Quel torrent révolutionnaire que la Loire ! l’Assemblée couvrit par des applaudissements immortels l’horrible rapport de Carrier[1].


LES QUARANTE SOLS



L’esprit des scélérats surpasse le sens ordinaire des hommes, ainsi que l’esprit des voleurs avec de certaines clefs se rit de la prudence de l’avarice. Les passions s’expriment surtout par le son de la voix : on ne commande point une inflexion du gosier. J’ai fait cette réflexion en entendant les harangueurs du peuple : ils avaient des voix rauques, dures ou criardes ; avant de les voir j’avais deviné leur physionomie. C’était un spectacle risible de voir des huissiers et des records transformés en orateurs. Mais leur logique sanguinaire effaçait tellement le ridicule de leur rôle, que l’on frémissait de leur brutale éloquence ; car elle précédait la captivité et la mort. La méchanceté de l’homme n’est pas tant dans les écarts de sa raison, que dans la défaillance du sentiment qui doit lui servir de guide. Où ces harangueurs avaient-ils puisé l’audace de parler en

  1. Carrier fut condamné à mort par le tribunal révolutionnaire, le 26 frimaire an III (16 déc. 1794). Il se défendit lui-même. Son plaidoyer, commencé à minuit et demi, ne se termina qu’à près de cinq heures par ces paroles : « Fatigué, exténué, je m’en rapporte à la justice des jurés. Ma moralité est décrite dans une adresse de mon département. Je demande tout ce qui peut être accordé pour mes co-accusés. Je demande que si la justice nationale doit peser sur quelqu’un, elle pèse sur moi seul. » Et après l’arrêt : « Je meurs, dit-il, victime et innocent ; mon dernier vœu est pour la République et pour le salut de mes concitoyens ! » Trente sur trente-trois co-accusés furent rendus à la liberté.
    (Note de l’édition Poulet-Malassis.)