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SEPT OCTOBRE 1795



Pour qui n’observe que les apparences, pour qui ne voit que des surfaces à Paris, tout y est tranquille, tout paraît rentré dans l’ordre. Chacun ne songe qu’à ses affaires ; les affaires publiques, on n’en parle plus.

Le bonheur qu’on nous promet, et les lumières qu’on nous annonce, sont encore et seront longtemps renfermés dans les gros livres philosophiques que le peuple ne lira jamais, et que le philosophe lit sans y croire.

Au lieu de ces gros livres, ouvrez le cœur humain, pénétrez au sein des familles qui n’ont partagé ni les extravagances des sections souveraines, ni les horribles profits de l’agiotage : voyez-les dévorer des larmes amères ; voyez-les attendre, avec l’impatience de la douleur, le médecin qui doit panser leurs plaies. Elles ne se dissimulent pas que la victoire du 13 vendémiaire, toute nécessaire qu’elle était, fut une calamité nationale.

Voyez encore cette mère, au milieu de cinq enfants, assaisonnant un litron de haricots de 25 livres, avec un quarteron de beurre de dix livres, et un quart de charbon de trois livres.

Ce plat unique de haricots, ce plat qui lui coûte 38 francs, ce plat que déjà ses enfants dévorent des yeux, fera tout son dîner et celui de ses enfants. Son mari ne gagne que quarante francs par jour.

Il faut payer avec les quarante sols qui lui restent, le déjeûner de ses enfants, car pour elle, elle ne déjeûne plus ; le souper de ses enfants, car elle ne soupe plus. Il faut payer encore le loyer de sa maison, le blanchissage ; un écu par chemise ; des souliers à 200 livres, du bois à 1000 livres ; de la chandelle à 45 livres.

Croyez-vous que cette femme soit heureuse et tranquille ? Je sais parfaitement que la Convention s’occupe de diminuer ses maux, qui ne sont point son ouvrage. Je sais qu’elle